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les visites domiciliaires et les réquisitions pour les transports[1]. L’idée de Babeuf est donc la pratique du gouvernement révolutionnaire érigée en doctrine, la transformation d’un fait momentané et local en une règle permanente et universelle. Beaucoup plus qu’à la théorie, elle emprunte son trait essentiel à une réalité née des circonstances : l’application de toute la force d’un État centralisé pour la première fois, disposant des ressources de toute une grande Nation, qui jusque-là suffisait à ses besoins par une production et un commerce hasardeux et dispersés, morcelés comme la France féodale, l’application de cette force immense, disons-nous, à l’accomplissement des fonctions économiques élémentaires et à la satisfaction des besoins primordiaux. Cela ne pouvait se faire que par une hiérarchie de fonctionnaires dépendant entièrement du pouvoir central, chose non inconnue de l’ancien régime, mais emportée, perdue dans l’effondrement de toutes les autorités royales et dans l’anarchie qui résulta de leur remplacement par des conseils locaux indépendants. Cette hiérarchie, la Convention, d’abord isolée et sans autre prise sur tous ces conseils que la pression des clubs, avait dû la restaurer peu à peu ; la création d’un grand mécanisme militaire dont l’unité était la condition et dont les services accessoires (nourriture, fabrication des armes et de l’équipement, etc.) devaient être construits sur le même type, avait révélé aux contemporains les avantages de ce mode de groupement et d’action sociale, si contraire à l’individualisme anarchique des premières années après 1789, de l’administration. On ne voyait alors aucune objection à faire à l’emploi de procédés mécaniques et compul-

  1. En 1793, sur les mille sans-culottes qui devaient être, par l’ordre des proconsuls de Lyon, levés et armés dans chacun des dix départements de l’Est et du Centre, quatre cents devaient être employés à battre le blé.