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rêveur en délire, » Babeuf se rend le témoignage de n’avoir eu dans sa sublime entreprise qu’un instant de malheur et d’avoir obtenu les plus grands succès, « qui prouvent qu’il y apporta quelque intelligence. » Il se console de sa fin prochaine en pensant à l’éclat qui en rejaillira sur son nom. Il se met en face de la postérité : il ne se soucie plus que de la figure qu’il fera devant elle. « Mon corps rendu à la terre, il ne restera plus de moi qu’une assez grande quantité de projets, notes et ébauches d’écrits démocratiques et révolutionnaires, tous conséquents au vaste but, au système complètement philanthropique pour lequel je meurs. Ma femme pourra les rassembler tous et, un jour, lorsque la persécution sera ralentie…, lorsqu’on en sera revenu à songer de nouveau aux moyens de procurer au genre humain le bonheur que nous lui proposions, tu pourras rechercher dans ces chiffons et présenter à tous les disciples de l’Egalité, à ceux de nos amis qui conservent dans leurs cœurs nos principes, tu pourras leur présenter, dis-je, au profit de ma mémoire, la collection mitigée des divers fragments qui contiennent tout ce que les corrompus d’aujourd’hui appellent mes rêves. »

Qualis philosophus pereo ! Rendons-nous au vœu de Babeui et cherchons à comprendre sa pensée. Lui-même nous l’a présentée sous son aspect le plus philosophique non seulement dans l’Analyse, mais dans sa Défense, rédigée pendant le procès de Vendôme et qui est comme son testament, « La nature de cette cause, dit-il, a donné lieu d’ouvrir dans ces débats une espèce de cours de droit public. » Dans sa dernière lettre à sa femme il accumule les recommandations pour la conservation de cette Défense. Il a du reste pensé toute sa vie à la postérité, et c’est pour nous qu’il a pris soin de numéroter à la suite les livraisons et les pages de son journal ainsi que de