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ment ment choqué. Il avait à cette époque cessé d’être chrétien ; il ne lui restait qu’un spiritualisme assez vague. Sans le savoir, car il n’était pas métaphysicien, il penchait vers l’Hébertisme et eût fait volontiers, nous le verrons bientôt, des besoins autant de droits ; son socialisme est le cri de l’estomac. Mais Buonarroti eût vivement protesté contre e toute manifestation matérialiste. Il avait pensé à fondre l’enseignement de la nouvelle doctrine avec le culte décadaire, c’est-à-dire avec le Déisme ; fidèle en cela encore aux principes de Robespierre et de Jean-Jacques. Comme tous les réformateurs de cette lignée, qui n’est pas éteinte, il était franchement spiritualiste. Il n’est pas loin d’admettre avec le Contrat social[1] que le législateur peut légitimement emprunter le prestige des « fictions religieuses » pour imposer certaines innovations. Mais « cet expédient qui n’est pas sans danger, ne saurait, ajoute-t-il, être employé avec succès chez les peuples qui, je ne sais si heureusement ou malheureusement, cultivent la philosophie : on ne peut en faire quelque chose que par l’attrait du plaisir ou par la force. Si le christianisme n’eût pas été défiguré, il eût pu être d’un grand secours aux législateurs amis de leurs semblables. La pure doctrine de Jésus, présentée comme une émanation de la religion naturelle, dont elle ne diffère pas, pourrait devenir l’appui d’une sage réforme et la source des mœurs vraiment sociales ; elles sont inconciliables avec le matérialisme qui réduit tant de gens à ne consulter, dans leur conduite, que leur intérêt direct et à se moquer de toute vertu. »

Tels sont les hommes, mélange de philosophes et de fanatiques ayant pratiqué en grand l’assassinat juridique, dont Babeuf avait réussi à rallier les efforts en vue d’une

  1. Livre IV, chap. viii.