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l’autorité qu’il faut renverser c’est donc à ceux qui l’approchent (aux révolutionnaires de Paris) à prendre les armes les premiers ; et comme il est important qu’une autorité nouvelle succède immédiatement à l’ancienne, c’est aux insurgents à y pourvoir. » Il est clair qu’on voulait la résurrection de la Commune. C’est ce que Buonarroti appelle « mettre de côté les subtilités[1]. »

Acceptant la doctrine de Robespierre, Babeuf devait, ce semble, accueillir à bras ouverts les Montagnards qui venaient à lui. Mais nous avons vu qu’il s’efforçait au contraire de les maintenir dans une situation subordonnée. Ceux-ci ne pouvaient s’en accommoder et une scission était imminente. Leur qualité de martyrs de Prairial ou de Germinal leur conférait un grand prestige, et quand le directoire secret apprit que Vadier, Ricord, Laignelot, Choudieu[2], Amar, Huguet et Javogues formaient un

  1. Il penche visiblement vers la dictature individuelle et ne peut se consoler de ce que l’on n’ait pas eu « la sagesse » d’investir de la dictature en l’an II « un homme de la trempe de Robespierre. » T. 1., p. 139. Ce qu’il y a d’intéressant dans cette théorie politique de Buonarroti, c’est que, pour lui, la dictature collective ou individuelle est le meilleur hommage qu’on puisse rendre à la souveraineté du peuple. Il regarde comme démontré « qu’un peuple dont les opinions se sont formées sous un régime d’inégalité et de despotisme, est peu propre, au commencement d’une révolution régénératrice, à désigner par ses suffrages les hommes chargés de la diriger et de la consommer. Cette tâche difficile ne peut appartenir qu’à des citoyens sages et courageux qui, fortement épris d’amour pour la patrie et pour l’humanité, ayant longtemps sondé les causes des maux publics, se sont affranchis des préjugés et des vices communs… Peut-être faut-il, à la naissance d’une révolution politique, même par respect pour la souveraineté réelle du peuple, s’occuper moins de recueillir les suffrages de la Nation que de faire tomber, le moins arbitrairement que possible, l’autorité suprême en des mains sagement et fortement révolutionnaires, » p. 134. Babeuf au contraire paraît avoir été hostile à la dictature d’un seul (Défense, Advielle, t. Il, p. 121 et suivantes). Mais il admettait et préparait la dictature collective, sous le couvert de laquelle il pensait exercer, comme Robespierre, le pouvoir souverain.
  2. Anagrammes, à titre d’exemples : Allinogé et Euduchoi.