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demande, que les membres de sa future cité reçoivent du gouvernement le pain quotidien et la consigne pour le travail ou le service, est déjà une habitude prise par les patriotes professionnels des ateliers nationaux et des sections. Son commencement de succès dans sa propagande auprès des armées est dû aux mêmes causes. Quant aux hommes politiques, après plusieurs années de famine, pendant l’hiver de 1794 marqué par un redoublement de misère, leur attention est absorbée par le fait des inégalités sociales. Les républicains que leur ardeur désigne aux coups de la réaction sont tous passionnés pour l’égalité[1]. Goujon, rentrant à Paris après le 9 thermidor,

    adresse au Peuple qu’il rédigea pour la Société du Muséum (collection Charavay), dénonça très vigoureusement les moyens illégaux par lesquels le gouvernement révolutionnaire s’était établi et maintenu. L’un des principaux organes de la minorité oppressive était le club des Jacobins. Le 16 octobre 1794, aux Jacobins même, Bourdon de l’Oise posa, aux applaudissements de l’assemblée, le principe de la représentation. « Depuis cinq ans, dit-il, nous voulons une République représentative. Que sont les sociétés populaires ? Une collection d’hommes qui, semblables aux moines, se choisissent entre eux. Je ne connais pas dans l’univers d’aristocratie plus constante et mieux constituée que cellelà. » Et Babeuf : « Il est donc vrai que la Convention convient elle-même (en avouant dans son adresse du 18 vendémiaire qu’elle veut régulariser le gouvernement révolutionnaire) qu’elle a exercé, dans son premier gouvernement révolutionnaire, un pouvoir usurpé ; puisque, pour celui-là, elle s’est dispensée de consulter le peuple… L’appui de la volonté du peuple, demandé par la Convention, ne peut être constaté valablement qu’en recueillant son vote par les formes légales, par les formes que prescrit la constitution. » Mais plus cette doctrine était clairement comprise, plus elle devait être gênante pour Babeuf et ses affiliés, quand ils voulurent restaurer ce même gouvernement révolutionnaire par l’insurrection et la dictature. Aussi ces règles excellentes furent-elles vite méconnues. Les Jacobins, Babeuf, et bientôt après Bonaparte, prétendirent faire par un coup de force le bonheur du peuple. Comme si une foule ou un homme pouvait faire le bonheur d’un peuple en une fois !

  1. Cf. Histoire générale publiée sous la direction de Lavisse et Rambaud : La Révolution, tome VIII, p. 222. La Convention nationale période Thermidorienne, par Aulard : « un socialisme sans nom et presque sans programme… » « Les Montagnards, à demi babouvistes… »