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priété, avaient pu acquérir en s’associant une part notable des terres mises en vente et le morcellement commencé depuis un siècle avait fait un pas de plus[1] ; le partage des biens communaux avait aussi dans quelques localités créé un certain nombre de propriétaires. Mais la situation

  1. Consulter sur cette question Boris Minzès, Die Nationalgüterveräusserung wáhrend der franzósischen Revolution, Iéna, 1892, et Loutchisky, De la petite propriété en France avant la Révolution et de la vente des biens nationaux, Revue historique, sept.-oct. 1895, ainsi qu’un volume portant le même titre, Paris, Champion éd., 1897. Ces auteurs sont les seuls qui aient étudié les actes de vente dans les archives départementales, le premier dans Seine-et-Oise, le second dans le Pas-de-Calais, l’Aisne, la Côte-d’Or, la Haute-Garonne, les Bouches-du-Rhône. « Les terres de la première origine (les biens de l’Eglise), dit M. Loutchisky, furent achetées par la bourgeoisie et les spéculateurs, tandis que celles des émigrés, qui se vendaient par petits lots et tout aussi vite que les terres de l’Eglise, furent en partie achetées par les paysans. » C’est, en fin de compte, selon lui, la population agricole qui absorba la plus grande partie de la terre vendue hors du voisinage des villes. Mais c’était elle déjà qui, avant la Révolution, était parvenue, par le cours naturel des choses, à détenir la plus grosse portion du sol et qui prédominait dans le nombre des propriétaires, qu’il estime à cinq millions. Combien de temps de progrès pacifique lui eût-il fallu pour obtenir le même résultat sans le payer du renouveau de prestige que la Révolution donna au clergé et qui lui a permis de reconstituer peu à peu, sous d’autres formes, ses anciennes richesses ? (Environ sept cents millions de valeurs immobilières en 1881, des valeurs mobilières qui échappent à toute évaluation, mais qui sont considérables, et quarante millions de dotation budgétaire annuelle.) Le même historien tend à atténuer le rôle généralement attribué à la spéculation dans l’achat des biens nationaux. Il montre bien que des associations temporaires de paysans ont pris une part active à l’opération dans plusieurs départements. Mais il s’aventure lorsque, du fait que le nom de Saint-Simon ne figure sur la liste des acquéreurs, pas plus que le nom de son associé étranger de Redern, ni dans le département du Pas-de-Calais, ni dans le département de l’Orne, il conclut que Saint-Simon n’a pas spéculé sur les biens nationaux. Ses démêlés avec de Redern en 1797, au sujet des 80,000 livres de rentes, produit de l’entreprise, sont certains. M. Weill Saint-Simon et son œuvre, 1894, mentionne une lettre du futur philosophe qui est décisive quant au fait sinon quant à l’importance des acquisitions réalisées par les associés. L’hôtel des Fermes, où s’installèrent luxueusement les deux amis, était un bien national