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devient aiguë en 1793 et reste redoutable jusqu’en 1796. Il s’agit pour tous de ne pas mourir de faim ; naturellement le problème est plus tragique pour le pauvre que pour le riche, bien que en partie dépouillé. La guerre mise à part, deux causes aggravent le péril : les assignats et le maximum. Nous n’avons pas à dire comment les assignats tombèrent peu à peu jusqu’à 30 centimes pour cent francs sans que les lois les plus draconiennes parvinssent à les relever ; ni comment le maximum, un instant efficace, finit, avec les mesures prises contre l’accaparement des grains par paralyser tout commerce et affamer le pays. Du point de vue de l’histoire des idées économiques qu’étaient-ce que ces mesures ? Des expédients empruntés à des doctrines surannées et dépassées, un retour au mercantilisme du xvie siècle, à la théorie du juste prix de saint Thomas, la réapparition, grâce à l’abaissement du niveau intellectuel et au triomphe des préjugés populaires, de pratiques rétrogrades impliquant la persuasion que l’action de l’Etat peut se substituer à toutes les fonctions économiques et qu’il appartient au souverain de déterminer arbitrairement la valeur des objets à échanger et des moyens d’échange eux-mêmes, même d’effectuer directement la circulation des richesses. De même que le Contrat social chancelle entre l’anarchie et le pouvoir absolu, la Révolution a été tour à tour une orgie de liberté et une orgie d’autorité : ce gouvernement qui n’est qu’un commis, un serviteur que l’insurrection piétine, un instant après est jugé capable de fabriquer du crédit avec des menaces et de régir d’autorité toutes les transactions. Un moment vint où sous cette pression, les multiples organes de la circulation, qui d’ordinaire vont tout seuls, s’étant arrêtés, l’Etat eut à pourvoir à l’alimentation de la plupart des villes. Toutes ses forces durent s’employer chaque jour, à chaque moment, à l’entretien des vies individuelles.