Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rait par anticipation la douceur comme dans un rêve, sans vouloir penser aux obstacles possibles. Heureux ! non pas tous assurément, car toute une classe dès lors était traquée, menacée de pillage, d’incendie ou de supplices sans nom : durs ou généreux, courtisans ou bons serviteurs du pays, au fond de leurs châteaux, les nobles, chaque nuit, écoutaient les bruits du dehors ; ils veillaient dans l’angoisse et l’alerte, et sur ce sol français souvent défendu par eux ne savaient où fuir, puisque même après une renonciation totale à leurs privilèges, les pouvoirs nationaux ne les protégeaient plus, puisque partout ils étaient traités comme déjà hors la loi. Eh bien ! ce n’était pas assez et tous les riches allaient subir le même sort en vertu sans doute de la Déclaration des droits de l’homme, article 17 « La propriété est un droit inviolable et sacré. »

Vous le voyez, Messieurs, ce n’est pas dans les groupes dissidents, dans les tentatives avortées des partis extrêmes que nous cherchons la véritable pensée de la Révolution en matière d’Economie sociale. Nous la cherchons et nous croyons la trouver dans les discussions des assemblées et dans leurs actes, c’est-à-dire dans les discours et les résolutions du parti prépondérant[1]. Cependant il ne faut pas

  1. Saint-Simon qui avait vu la Révolution d’un œil de philosophe, dit avec raison peut-être qu’en fait de doctrines, l’Assemblée constituante a été plus révolutionnaire que la Convention. Charles de Lameth, le 12 avril 1790, repoussant comme superflue la proposition de dom Gerbes (que l’Assemblée reconnaisse la religion catholique comme la religion de la nation), disait non sans exagération d’ailleurs : « L’Aslemblée n’a-t-elle pas manifesté ses sentiments religieux quand elle a pris pour base de tous ses décrets la morale de la religion ? Qu’a fait l’Assemblée nationale ? Elle a fondé la constitution sur cette consolante égalité si recommandée par l’Evangile ; elle a fondé la constitution sur la fraternité et sur l’amour des hommes ; elle a, pour me servir des termes de l'Ecriture, humilié les superbes ; elle a mis sous sa protection le faible et le peuple dont les droits étaient méconnus ; elle a enfin réalisé pour le bonheur des hommes les paroles de Jésus-Christ lui-même, quand il a dit : Les premiers deviendront les derniers, les derniers deviendront les premiers. »