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toutes les autres ? Vous nous prenez nos biens ; le peuple un jour vous prendra les vôtres. « Il dira aussi qu’il est la Nation ! » « Vous nous conduisez à la loi agraire ! » Dans le langage du temps c’était dire : Prenez garde au socialisme futur ! C’est dans cet esprit et en se fondant sur ces raisons que la Constituante confisqua les trois milliards de propriétés ecclésiastiques. À ce moment (2 nov. 1789), il n’y avait point de guerre extérieure, point d’insurrection, point de tribunes dont la pression pesât sur l’assemblée. La Révolution, en affirmant dès son début que la propriété était une délégation expresse de la loi, un don de l’Etat, toujours révocable, une sorte de fonction essentiellement viagère, confiée tantôt à l’un, tantôt à l’autre des citoyens au prorata des services, obéissait à son génie propre, c’est-à-dire qu’elle marchait dans la voie que la philosophie antérieure lui avait tracée.

Comment procèderait-on à la vente des biens de l’Eglise auxquels se joignirent ceux de la couronne ? Plus particulièrement quel mode de lotissement allait-on adopter ? Viserait-on à obtenir le plus haut prix possible en vue de combler le déficit ? Chercherait-on, comme le voulait Talleyrand, à grouper les terres et les bâtiments d’exploitation de telle sorte que la grande culture, chère aux Physiocrates, et par elle l’augmentation de la richesse publique fussent favorisées ? Ou au contraire chercherait-on, selon les vues de la philosophie politique égalitaire, à mettre par un morcellement indéfini le plus grand nombre de parcelles à la portée du plus grand nombre possible d’acheteurs ?

Dans la pensée de ses promoteurs, l’aliénation des biens nationaux était liée à la création des assignats. Les biens du clergé seraient avant tout le gage d’une émission de papiers fiduciaires, qui donnerait à la Révolution un trésor pour ainsi dire inépuisable et permettrait au régime