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teurs, comme si des particuliers ignorants et bornés avaient eu le droit d’enchaîner à leur volonté capricieuse les générations qui n’étaient point encore, ni par la crainte de blesser les droits prétendus de certains corps, comme si les corps particuliers avaient quelques droits vis-à-vis de l’Etat. — Mais les corps particuliers n’existent pas par eux-mêmes ni pour eux ils ont été formés par la société et ils doivent cesser d’être au moment où ils cessent d’être utiles. Concluons qu’aucun ouvrage des hommes n’est fait pour l’immortalité. Puisque les fondations multipliées par la vanité absorberaient à la longue les propriétés particulières, il faut bien qu’on puisse à la fin les détruire. Si tous les hommes qui ont vécu avaient un tombeau, il aurait bien fallu pour trouver des terres à cultiver, renverser ces monuments stériles et remuer les cendres des morts pour nourrir les vivants. » Mais, affirmé avec cette intensité, le droit exclusif de l’Etat à fonder par une attribution momentanée et précaire toute possession individuelle, allait dans la pensée de Mirabeau jusqu’à la négation de toute propriété et le socialisme sortait encore ici de l’individualisme, puisque le même orateur disait dans la même discussion avec l’assentiment de l’assemblée : « Il serait temps que l’on abjurât les préjugés d’ignorance orgueilleuse qui font dédaigner les mots salaire et salariés. Je ne connais que trois manières d’exister dans la société : il faut y être mendiant, voleur ou salarié. Le propriétaire n’est lui-même que le premier des salariés. Ce que nous appelons vulgairement la propriété, n’est autre chose que le prix que lui paie la société pour les distributions qu’il est chargé de faire aux autres individus par ses consommations et ses dépenses ; les propriétaires sont les agents, les économes du corps social. » Maury n’avait-il pas raison de s’écrier qu’en touchant à la propriété du clergé, on risquait d’ébranler