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l’ignorance est un culte et la curiosité un attentat : toujours en présence d’un mystère qui l’obsède et l’écrase, l’homme attribue surtout le caractère de la grandeur à ce qui est inexpliqué ; tout phénomène dont la cause est cachée, tout être dont la fin ne s’aperçoit pas, est une humiliation pour l’homme et un motif de gloire pour Dieu. La Grèce voit le divin dans ce qui est harmonieux et clair, le Sémite voit Dieu dans ce qui est monstrueux et obscur. Le difforme Léviathan est le plus bel hymne à l’Éternel. L’animal, avec ses instincts cachés, est sans cesse opposé à l’homme, et lui est même préféré ; car il est plus directement sous la dépendance de l’esprit divin qui agit en lui sans lui, tandis que la raison réfléchie et la liberté sont en quelque sorte un larcin fait à Dieu.

La théorie du monde moral qui sert de base au livre de Job n’est pas moins simple. L’homme est dans des rapports perpétuels et directs avec la Divinité : il la voit quelquefois, mais alors il meurt ;