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j’avais à faire. Je passai donc par la cuisine, et je réglai l’antique pendule, une pièce magnifique en marbre blanc. Mlle Louise regardait.

« Vous avez du monde, mademoiselle Louise ? lui dis-je.

— Non, mais monsieur m’a prévenue de ne laisser entrer personne.

— Ils sont bien joyeux, chez vous…

— Ah ! oui ! fit-elle, c’est la première fois depuis des années ; je ne sais pas ce qu’ils ont. »

Je remis le globe, et je sortis, rêvant à ces choses qui me paraissaient extraordinaires. L’idée ne me vint pas que ceux-ci se réjouissaient de notre défaite.

En partant de là, je tournai le coin de la rue pour me rendre chez le père Féral, qu’on appelait Porte-Drapeau, parce qu’à l’âge de quarante-cinq ans, étant forgeron et père de famille depuis longtemps, il avait porté le drapeau des volontaires de Phalsbourg en 92, et n’était revenu qu’après la campagne de Zurich. Il avait ses trois garçons à l’armée de Russie : Jean, Louis et Georges Féral ; Georges était commandant dans les dragons, les deux autres officiers d’infanterie.

Je me figurais d’avance le chagrin du père Féral ; mais ce n’était rien auprès de ce que je vis