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LE JUIF POLONAIS.

heinrich. — C’est pour attacher à la voiture.

annette, riant. — Vous partirez au clair de lune. (Elle souffle la lanterne.)

walter, de même. — Oui... oui... au clair de lune ! (Loïs apporte une bouteille et des verres, puis elle rentre dans la cuisine. Heinrich verse.) À la santé du maréchal des logis et de la gentille Annette. (On trinque et l’on boit.)

heinrich, déposant son verre. —Fameux ! fameux ! C’est égal, de mon temps les choses ne se seraient pas passées comme cela.

catherine. — Quelles choses ?

heinrich. — Le mariage. (Il se lève, se met en garde, et frappant du pied.) Il aurait fallu s’aligner. (Il se rassied.) Oui, si par malheur un étranger était venu prendre la plus jolie fille du pays, la plus gentille et la plus riche, mille tonnerres !… Heinrich Schmitt aurait crié : Halte ! halte ! nous allons voir ça !

walter. — Et moi, j’aurais empoigné ma fourche pour courir dessus.

heinrich. — Oui, mais les jeunes gens de ce temps n’ont plus de cœur ; ça ne pense qu’à fumer et à boire. Quelle misère ! Ce n’est pas pour crier contre Christian, non, il faut le respecter et l’honorer ; mais je soutiens qu’un pareil mariage est la honte des garçons du pays.

annette. — Et si je n’en avais pas voulu d’autre, moi ?

heinrich, riant. — Il aurait fallu marcher tout de même.

annette. — Oui, mais je me serais battue contre, avec celui que j’aurais voulu.

heinrich. — Ah ! si c’est comme ça, je ne dis plus rien. Plutôt que de me battre contre Annette, j’aurais mieux aimé boire à la santé de Christian. (On rit et l'on trinque.)

walter, gravement. — Écoute, Annette, je veux te faire un plaisir.

annette. — Quoi donc, père Walter ?

walter. — Comme j’entrais, tout à l’heure, j’ai vu le maréchal des logis qui revenait avec deux gendarmes. Il est en train d’ôter ses grosses bottes, j’en suis sûr, et dans un quart d’heure...

annette. — Écoutez !

catherine. — C’est le vent qui se lève. Pourvu maintenant que Mathis ne soit pas en route.

annette. — Non… non… c’est lui !… (Christian paraît au fond.’')


VIII
Les précédents, CHRISTIAN.


tous, riant. — C’est lui !… c’est lui !…

christian,secouant son chapeau et frappant des pieds. — Quel temps ! Bonsoir, madame Mathis ; bonsoir, mademoiselle Annette. (Il lui serre la main.)

walter. — Elle ne s’était pas trompée ! Christian , étonné, regardant les autres rire. — Eh bien, qu’y a-t-il donc de nouveau ?

heinrich. — Hé, maréchal des logis, nous rions parce que Melle  Annette a crié d’avance : C’est lui !

christian. — Tant mieux ; ça prouve qu’elle pensait à moi.

walter. — Je crois bien ; elle tournait la tête chaque fois qu’on ouvrait la porte.

christian. — Est-ce que c’est vrai, mademoiselle Annette ?

annette. — Oui, c’est vrai.

christian. — À la bonne heure ! voilà ce qui s’appelle parler. Je suis bien heureux de l’entendre dire à Melle  Annette. (Il suspend son chapeau au mur, et dépose son épée dans un coin.) Ça me réchauffe, et j’en ai besoin.

catherine. — Vous arrivez du dehors, monsieur Christian !

christian. — Du Hôwald, madame Mathis, du Hôwald. Quelle neige ! J’en ai bien vu dans l’Auvergne et dans les Pyrénées, mais je n’avais jamais rien vu de pareil. (Il s’assied et se chauffe les mains au poêle, en grelottant. Annette, qui s’est dépêchée de sortir, revient de la cuisine avec une cruche de vin qu’elle pose sur le poêle.)

annette. — Il faut laisser chauffer le vin, cela vaudra mieux.

walter, riant, à Heinrich. —Comme elle prend soin de lui ! Ce n’est pas pour nous autres, qu’elle aurait été chercher du sucre et de la cannelle.

christian. — Hé ! vous ne passez pas non plus vos journées dans la neige ; vous n’avez pas besoin qu’on vous réchauffe.

walter, riant. — Oui, la chaleur ne nous manque pas encore, Dieu merci ! Nous ne grelottons pas comme ce maréchal des logis. C’est tout de même triste de voir un maréchal des logis, qui grelotte auprès d’une jolie fille qui lui donne du sucre et de la cannelle.

annette. — Taisez-vous, père Walter ; vous devriez être honteux de penser des choses pareilles.

christian, souriant. — Défendez-moi,mademoiselle Annette, ne me laissez pas abîmer par ce père Walter, qui se moque bien de la neige et du vent, au coin d’un bon feu. S’il avait passé cinq heures dehors comme moi, je voudrais voir la mine qu’il aurait.

catherine. — Vous avez passé cinq heures dans le Hôwald, Christian ? Mon Dieu ! c’est pourtant un service terrible, cela.