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LE CHANT DE LA TONNE.

Du vin ! du vin ! (Page 73.)


morale, la raison individuelle et sociale, si ce fait était vrai ? Nous ne serions plus que de véritables entonnoirs, des sortes de mécaniques sans conscience ni dignité ! L’empereur Venceslas, le plus grand ivrogne qu’on ait jamais vu, aurait donc seul compris le sens de la destinée humaine ? Il faudrait donc le placer au-dessus de Solon, de Lycurgue et des sept sages de la Grèce ?

— Non-seulement je le crois, dit Brauer, mais j’en suis sûr. Ces imbéciles qui hurlent là-haut s’imaginent chanter d’eux-mêmes. Eh bien, c’est moi qui choisis dans ma cave l’air qu’il plaît d’entendre ; chaque tonne, chaque foudre a son air favori ; l’un est triste, l’autre est gai, l’autre grave ou mélancolique. Tu vas en juger, Théodore, je veux faire pour toi le sacrifice d’un tonnelet de hochheim, c’est un vin tendre ; le braumberg doit être épuisé, car on fait un tapage du diable à la taverne. Nous allons tourner les âmes au sentiment. »

Alors, au lieu de remplir son baril de braumberg, il le mit sous le robinet du hochheim ; puis, avec une adresse surprenante, il le plaça sur son épaule, et nous remontâmes.

La taverne était en combustion ; le chant des Brigands dégénérait en scandale.

« Oh ! s’écria la femme de Sébalt, que tu m’as fait attendre ! toutes les bouteilles sont vides depuis un quart d’heure. Écoute ce tapage ; ils vont tout briser. »

En effet, un roulement de bouteilles ébranlait les tables.

« Du vin ! du vin ! »