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Histoire d’un paysan.

« En route, camarades, en route ! » (Page 215.)
« En route, camarades, en route ! » (Page 215.)

pendants sur les épaules de leurs garçons qu’ils venaient d’enrôler ; de pauvres gens, on peut le dire, des malheureux du Dagsberg, qui n’avaient rien à garder et qui vivaient dans leurs huttes de bûcheron où de charbonnier, sans aucun intérêt à cette guerre ; mais ils avaient pourtant l’amour de la liberté, de la justice et de la patrie ! Et les dons patriotiques pour les parents des volontaires, pour les blessés, pour l’équipement des troupes ; les offrandes de toutes sortes des malheureux infirmes, qui suppliaient nos officiers municipaux de recevoir aussi leurs pauvres deux liards ; les enfants qui pleuraient, parce qu’ils n’avaient pas l’âge d’entrer dans les tambours ou les trompettes ! toutes ces choses étaient naturelles, chacun faisait ce qu’il pouvait.

Mais ce qui me revient encore mieux, ce qui me réveille et me fait revivre comme à vingt ans, C’est de me rappeler que sur le midi, pendant que maître Jean, Létumier, mon père et moi, nous étions à table dans la bibliothèque de Chauvel, les volets fermés à cause de la grande chaleur du jour, et que de temps en temps la sonnette allait ; que Marguerite sortait servir la pratique, et puis rentrait sans oser me regarder ; et que moi, malgré le bon vin, la bonne chère, je ne pouvais pourtant pas rire comme les autres, ni paraître bien content d’aller tout de suite au camp de Wissemboure, tout à coup Chauvel prit une vieille bouteille, et dit, en la débouchant entre ses genoux :

« Celle-ci, mes amis, nous allons la boire à la santé de Michel ; videz vos verres ! »

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