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Nous ne tenions plus debout. Nous avons refusé. On nous a promis le Conseil de guerre. Mais rien ne nous fait peur. On ne peut pas nous rendre plus malheureux. En ligne, nous avions chacun un petit morceau de viande, une boîte de sardines et 250 grammes de beurre pour 14 ! Avec cela, monter la garde et 8 jours sans dormir. Ceux qui disent que le moral est bon ne viennent pas le demander aux poilus de 1re  ligne. On nous traite d’anarchistes. On le serait à moins. S’ils veulent qu’on y reste tous, ils feraient mieux de nous donner un bouillon de onze heures. »

Et on ne publie que des lettres héroïques ! Et on veut ignorer la vraie mentalité de ces malheureux !

— Première lettre de Bouttieaux depuis l’offensive du 16. Elle est datée du mardi 17. « Je suis complètement déçu… Et pourtant la préparation avait été aussi complète qu’on pouvait le rêver… J’avais pris les dispositions les plus minutieuses pour refaire les ponts et les routes des régions reconquises… »

— Derrière moi, à la représentation officielle de Shylock, j’ai Mme D…, la femme de l’auteur dramatique. Nous causons à l’entr’acte. Son fils est aviateur. Elle me dit qu’elle ne vit pas, qu’elle perd la mémoire, l’esprit, qu’elle aura besoin de piqûres pour se remonter. Je veux lui répondre : « Je sais bien la piqûre qu’il vous faudrait : la paix. » Mais au moment de prononcer ce mot, je sens que c’est impossible. Je devine la réprobation unanime des voisins. Oui, opposer la vie à la mort, la santé à la maladie, la raison à la folie, la paix à la guerre, c’est impossible, après trois ans, dans un milieu bourgeois. Qui croira cela ?

— Cette même représentation finit — à 7 heures au lieu de 5 heures — assez inopinément sur la