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— Des tracts de haine sont distribués dans des usines. « Peuple de France, tu n’as pas de haine assez fervente, assez enflammée… L’Allemagne est une race vouée au diable… Tu devras lécher la botte prussienne souillée de sang… » Puis les injures : « le diabolique Kaiser, le voyou de Kronprinz, à la trogne d’ivrogne avantageux, etc. » Merrheim se plaint de cette propagande et dit que la classe ouvrière est lasse de ces provocations.

— La troupe au village. Un soldat renonce à manger son riz, une colle grise, sordide. Il le jette dans la cour, pour le chat. Le chat n’en veut pas.

— Le 21. La fureur chauvine culmine. La Censure agrée une affiche qui proclame : « On veut nous voler notre victoire. » Une mauvaise foi héroïque règne dans la presse. Si les Allemands se démocratisent ainsi qu’on l’a souhaité, on déclare que la métamorphose est trop rapide et trop fraîche. Si leur militarisme se dérobe, on ne s’en contente pas, car on veut l’écraser. Enfin on leur fait un crime de vouloir la paix comme d’avoir voulu la guerre.

— Et cela en quel moment, sous quelle menace nouvelle ! Depuis deux mois, une effroyable épidémie, dite de « grippe ». s’est abattue sur la France. Elle planait sur l’Europe depuis le printemps. Elle a surtout sévi en Suisse cet été. En France, depuis le début de septembre, elle atteint les soldats — mal nourris, mal logés, mal soignés, agglomérés — tant au front qu’à l’arrière. Elle se complique d’accidents pulmonaires ou méningés, souvent mortels. C’est une sorte de peste. On lui a laissé un nom inoffensif, qui fait sourire. On l’a même baptisée grippe espagnole, parce que le roi d’Espagne l’aurait eue. Cela vous a un air léger de danse, de fandango. En France, les mots sont tout. Un médecin militaire me dit gravement : « On ne réforme pas pour la grippe. »