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bardements, mais laisse écrire que ces projectiles n’ont fait que de la fumée, même quand ils ont fait des morts. Ils interdisent la triste vérité et permettent le joyeux mensonge.

— Le 11. Chez des amis, Painlevé m’aborde assez drôlement, me prenant les bras : « Eh bien, que dit ce buveur de sang ? » On apporte un dessin du front, tracé par un blessé. Pour Painlevé, aux soucis de l’heure s’ajoute un ennui personnel. On parle en effet de Nivelle pour remplacer Franchet d’Esperey, à la tête d’un groupe d’armées. Il y verrait le triomphe de ses adversaires dans l’affaire du 16 avril 17. (En fin de journée Clemenceau déclare qu’il démissionnerait plutôt que de signer cette nomination.)

— Aux carrefours parisiens, les réverbères sont munis de bracelets de disques métalliques qui reflètent dans l’obscurité les feux des autos, et s’illuminant, permettent à celles-ci d’éviter l’obstacle. Le bruit a couru qu’ils contenaient du radium : ils ont été instantanément pillés.

— La vie qui s’éteint : plus de musées, fine joie des yeux. Ils sont clos, vidés, blindés.

— Compiègne, limite actuelle du front, est à 65 kilomètres de Paris à vol d’obus. Mais le tenace orgueil de nos journalistes a trouvé ceci : « Compiègne, qui est à 90 kilomètres de Paris par la route. » Il en est même à 1.700 kilomètres par Marseille.

— Un des vices hypertrophiés par la guerre, c’est l’hypocrisie. Tout est hypocrite : communiqués, discours, articles, propos même. C’est le règne officiel du mensonge. La première victime de la guerre, c’est la vérité.

— Le 14. Paris continue de déménager. À la gare P.-L.-M., les gens, alignés près de leur chariot à bagages, attendent leur tour cinq, six heures,