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dont 7 en un jour. Les journaux délirent : « Héros, surhomme, gloire immense, sublime, respect agenouillé… » Décidément, je ne peux pas coiffer la mentalité qui exalte avec des mots pareils l’homme qui a tué soixante fois.

— Le 28. En prenant le train pour Paris, le 27, à 6 heures, nous apprenons la reprise du bombardement par super-canon. Les journaux, achetés en route, nous annoncent l’offensive allemande commencée du matin entre Pinon et Craonne.

— À Janson de Sailly, un professeur punit les élèves qui tressautent quand éclate un projectile du super-canon. Car ils font rire ceux qui ne tressautent pas. Et la classe en est troublée.

— Les journaux accueillent la reprise du bombardement sur ce ton de niaise fanfaronnade qui s’accorde si peu avec la gravité de l’heure et la pensée des victimes tombées sous chaque coup.

On peut lire dans Paris-Midi : « En entendant le gros canon, on dissimule mal une espèce de joie… L’événement met dans la vie monotone une excitation, un orgueil et presque un plaisir… Les physionomies moroses s’éclairent, les dos lassés se redressent. Il se répand dans les rues une allégresse… »

— Une note officielle nous interdit d’indiquer par téléphone les points de chute, sous peine de procès-verbal. Comme on parle de remaniements ministériels, quelqu’un me dit : « Mais il n’est pas interdit d’indiquer les points de chute ministérielle. » Et Tristan Bernard, dans le même esprit : « Les points de chute sont place Beauveau et quai d’Orsay. »

— Le 29. Alerte de 11 h. 30 à minuit 30. Nous allons chez une voisine. Quand éclate le tir de barrage, elle nous emmène dans sa cave, abri classé, éclairé à l’électricité. Déjà l’habitude est prise, les gestes lui deviennent familiers : elle emporte pliants,