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a donné des extraits, et dont la lucide vigueur a précisément gagné des partisans à Caillaux.

— Clemenceau devient le sauveur. Des légendes l’auréolent. Veut-on lui éviter un obus dans une visite au front : « Bah ! Ce serait la plus belle mort. »

— Et les circulaires pleuvent sur la tenue, le sabre, la coupe des cheveux. Un capitaine accoste à Paris Jean L… qui a deux galons : « Vous ne lisez donc pas les circulaires ? » Et il exige un double salut, au garde à vous.

— On dit : Clemenceau poursuit Caillaux. Il veut poursuivre Humbert, Sarrail. Il veut poursuivre même la guerre.

— Nuit du 30 au 31. Alerte vers minuit. Brouillard au sol. Ciel pur, clair de lune. Les premières détonations, de canonnade ou de bombardement, éclatent en même temps que les sirènes. Un horizon de fusées, de signaux, de phares aériens. On se téléphone les renseignements sur les points de chute successifs.

Les journaux du 31 matin sont muets, d’ordre de la Censure. Ils déclarent cependant que ce raid tendra les énergies, la vaillance, etc.

— Lisant l’interpellation Voilin du 28 sur le rationnement, je vois que des régions ont manqué de pain 4, 6 et même 16 jours. On lit à la tribune, dans l’indifférence, des lettres déchirantes. Et nulle révolte ouverte, ni à la Chambre, ni dans la rue. Je ne peux pas donner à cette résignation de hauts mobiles patriotiques. J’y vois une faculté de souffrir plus étendue qu’on ne croyait, le manque d’organisation et de cohésion des masses, la dure oppression des gens au pouvoir, servis par une presse menteuse et fanfaronne. Et, encore un coup, ce serait un spectacle comique s’il n’était pas lamentable de sottises, tous ces peuples qui se guettent et s’épient