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— Quiconque passé à Deauville raconte le luxe effréné des toilettes, l’oubli total de la guerre. Toutes les stations balnéaires regorgent. À Trouville, une sage-femme loue à un prix fou une chambre aménagée pour ses clientes éventuelles. À Saint-Énogat, un de nos ministres, venant voir son fils, doit coucher dans un sous-sol. Et ces dimanches de banlieue, trains pris d’assaut, terrasses de café répandues jusqu’à la chaussée, phalanges de petites bicyclistes en robes blanches. Tout cela quand on se bat à 80 kilomètres. Ah ! Nos petits-enfants s’imagineront difficilement la vie pendant la grande guerre !

— L’État-Major cite, comme une sublime récompense, les noms des aviateurs qui ont abattu plus de 5 avions. Certains en ont abattu 15. Ils ont donc tué 30 hommes, pilotes et observateurs. Et des adversaires dignes d’eux, de leur propre aveu. Ne sera-t-on pas stupéfait, plus tard, de voir qu’on glorifiait ainsi le meurtre, d’un élan unanime ?

— Hervé raille souvent, dans ses articles, les pacifistes bêlants. Mais le régiment qu’on mène à la boucherie ne ressemble-t-il pas davantage à un troupeau bêlant ?

— La journaliste C. Wilson et le romancier Johnston, Américains, admirent chez les Français des vertus anciennes, comme nous admirons des ruines. On ne sait jamais si cette admiration n’est pas complaisante et forcée. Ainsi, Johnston dit que nos généraux sont des hommes du Moyen âge. Louange, ou ironie ?

Caroline Wilson a rencontré à Clermont-Ferrand, au début de la guerre, la mère de sept fils. Elle la retrouve quinze mois après et lui demande des nouvelles. La mère dit : « Ça va bien pour la Patrie. » Elle a eu six fils tués. Le septième est aveugle et fou.