Page:Encyclopedie Planches volume 2b.djvu/205

Cette page n’a pas encore été corrigée

saisir qu’une de ces expressions, la tentative deviendroit presqu’impossible, parce qu’elles ne sont toutes produites que par les circonstances d’un moment, que l’instant d’après décompose & détruit, c’est-à-dire, que tel homme passera d’un moment à l’autre de la haine à la pitié, de l’étonnement à l’admiration, de la joie à la douleur; ou que la même passion subsistant, elle se fortifiera ou s’affoiblira, & que le même personnage prendra pour un œil attentif une infinité de physionomies successives. Voilà des difficultés insurmontables pour le Dessinateur qui se préposeroit d’attraper à la pointe de son crayon des phénomenes aussi fugitifs; il n’en est pas moins important pour lui d’être témoin des différentes scenes de la vie. Les images le frappent, elles se gravent dans son esprit, & les fantômes de son imagination se réveillent au besoin, se représentent devant lui, & deviennent des modeles d’après lesquels il compose.

Mais pour tirer un parti sûr & facile des richesses de son imagination, il faut auparavant avoir étudié dans les desseins des maîtres, qui les ont le mieux rendus, les signes qu’ils ont trouvés convenables pour exprimer dans une tête, telle ou telle passion. Le Dessinateur consultera aussi fa raison & son cœur, & ne fera rien que ce qu’il sentira bien. Le célebre M. le Brun qui avoit étudié cette partie, nous a laissé des modeles que l’on peut consulter. Voyez les Planches XXIV. XXV. & XXVI.

C’est un objet important dans une figure que les draperies en soient jettées naturellement, & que la cadence des plis se ressente de la nature des étoffes; ainsi on doit donc, autant qu’il est possible, les dessiner d’après nature & sur un modele vivant. Cependant comme le modele est sujet à varier, & que les moindres mouvemens peuvent déranger, sinon la masse générale de la draperie, du-moins la quantité des plis, & leur donner à chaque instant des formes différentes: il arrive de-là que le Dessinateur est obligé de passer légérement sur quantité de petits détails importans, pour ne s’attacher qu’au jeu du tout ensemble & à l’effet général, & suppléer au reste en faisant d’imagination. Cet inconvénient est très-important, & apporte souvent de grands défauts de vérité dans un dessein; car il est essentiel, comme nous venons de le dire, que la forme des plis, leurs ombres & leurs réflets caractérisent la nature & l’espece de l’étoffe, c’est-à-dire, si c’est du linge, du drap, du satin, &c. Or, comment rendre ce qui appartient à toutes ces especes, si les formes des plis, les lumieres, les ombres & les réflets s’évanouissent à chaque instant, & ne paroissent jamais dans leur premier état, surtout lorsque les étoffes sont légeres & cassantes?

Voici un moyen dont on se sert pour étudier plus commodément, & qui est d’un grand secours surtout pour les commençans. On jette une draperie quelconque sur une figure inanimée, mais de proportion naturelle, que l’on nomme mannequin. Voyez Planche VI. & VII. On pose cette figure dans l’attitude qu’on a choisie: alors on en dessine la draperie telle qu’on la voit; on peut l’imiter dans ses plis, ses ombres, ses lumieres & ses réflets, par la comparaison que l’on en fait. Il faut réitérer cette étude sur des étoffes différentes, afin de s’habituer à les traiter différemment. Les formes des draperies se soutiennent davantage dans certaines étoffes, & se rompent & se brisent plus ou moins dans d’autres.

On observera aussi que les têtes des plis sont plus ou moins pincées, & les réflets plus ou moins clairs; c’est à toutes ces choses que l’on connoît que les draperies ont été dessinées d’après nature.

Il ne faut pas ignorer la maniere de draper des anciens, & on la connoîtra en dessinant leurs figures drapées; c’est un style particulier qui a de très-grandes beautés, & où l’on trouve les principes les plus certains de l’art de draper. On en pourra faire l’application en différentes occasions. Voyez Pl. XXVIII. & XXIX. & l’article Draperie.

Après une longue & pénible étude d’après des desseins, la bosse & la nature, si l’on a du génie, on passera à la composition.

Lorsque l’on compose un sujet, on jette sa premiere pensée sur le papier au crayon ou à la plume, afin de distribuer ses groupes de figures sur des plans qui puissent produire un effet avantageux, par de belles masses de lumieres & d’ombres; ce dessein se nomme croquis. C’est en conséquence de cette distribution que l’on connoît toutes les études de figures & de draperies à faire, pour que le dessein soit correct & fini. Voyez Pl. XXX. & XXXI. Voyez Composition.

A l’égard du païsage, on pourra en dessiner d’après nature, en suivant la regle générale que nous avons établie ci-dessus, pour la perspective des plans, l’exacti-tude dans les formes, & l’harmonie de l’effet. C’est une pratique que l’on acquiert plus facilement, quand on sait bien dessiner une figure. Voyez Pl. XXXII. il en est de même des ruines, des marines, &c.

On se sert quelquefois pour dessiner des païsages, des ruines ou des vûes perspectives, de la chambre obscure; cet instrument a cet avantage, qu’il représente les objets tels qu’ils sont dans la nature, de maniere que ceux même qui ne savent pas dessiner, peuvent facilement représenter tout ce qu’ils veulent très correctement; mais lorsque l’on possede le dessein, on ne doit point abuser de la facilité que cet instrument procure; en ce qu’il refroidiroit le goût, & que cette habitude arrêteroit insensiblement les progrès dans l’art. Voyez Pl. IV. & V.

Pour dessiner les animaux, il faut en connoître l’anatomie; on consultera les desseins des meilleurs maîtres, & ensuite on étudiera la nature. Si l’on se propose quelque supériorité dans un genre, quel qu’il soit, on ne doit rien faire que d’après elle; elle seule peut conduire à une imitation vraie qui est le but de l’art. Tout ce qui est fait de pratique, n’en impose qu’un moment, & quelque agrément séducteur qu’il puisse présenter sans la vérité, il ne peut satisfaire le vrai connoisseur.

Enfin l’art consiste à voir la nature telle qu’elle est, & à sentir ses beautés; lorsqu’on les sent, on peut les rendre, & l’on possede ce qu’on appelle la bonne maniere, expression qui suppose toujours la plus rigoureuse imitation; mais ce n’est que par le zele le plus ardent, l’étude la plus laborieuse, & l’expérience la plus consommée que l’on parvient à ce but. La récompense est entre les mains de l’Artiste; il cultive son propre héritage, il arrose ses propres lauriers; & les fleurs & les fruits qui naîtront de son travail, le conduiront au temple de l’immortalité, que l’envie elle-même sera forcée de lui ouvrir.

Nous croyons devoir conseiller aux commençans de ne point dessiner d’après l’estampe, à moins qu’ils ne puissent faire autrement, ou qu’ils ne veuillent apprendre à dessiner à la plume, parce que la gravure n’est point du tout propre à enseigner la vraie maniere de dessiner au crayon: au contraire elle donnera à ceux qui s’y appliqueront trop long-tems, un gout sec, maniéré, & servile dans l’arrangement des hachures. Si l’on s’en sert, il faut être assez avancé pour ne prendre que l’esprit du dessein & de l’effet, sans se proposer de rendre coup pour coup tous les traits.


PLANCHE I.
Vûe d’une école de dessein, son plan & son profil.

La vignete de M. Cochin représente à gauche de celui qui regarde & sur le premier plan, des jeunes éleves qui copient des desseins. Derriere eux, & sur le second plan, un autre groupe d’éleves qui dessinent d’après la bosse; le modele qu’ils copient est posé sur une selle, & est éclairé par la lampe que l’on voit suspendue au-dessus. A droite & sur le plan le plus éloigné sont des éleves qui dessinent d’après nature, le modele est au milieu d’eux & élevé sur une table que l’on a représentée dans le bas de la Planche, fig. 1. Un de ses genoux est appuyé sur une caisse, afin de contraster le mouvement de cette attitude. On voit un de ces éleves occupé à prendre les aplombs de la figure en présentant vis-à-vis d’elle son porte crayon perpendiculairement, ce modele est éclairé par un lampadaire placé devant & au-dessus de lui, dont le vo-