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16 ALPHABETS ANCIENS.

dent ici, qu’eu égard au nombre de traits dont ils sont composés, & qui étoient anciennement en plus grand nombre & dans un ordre tout différent. On jugera d’ailleurs qu’il étoit impossible d’observer en même tems & la progression des traits & celle des idées ou des êtres, si l’on se rappelle que la plûpart des caracteres chinois, dans leur origine, représentoient les objets mêmes qu’ils étoient destinés à signifier.

Les anciens caracteres chinois étoient appellés niao-tsi-ouene, c’est-à-dire, caracteres imitant les traces des oiseaux ; ils avoient été figurés, disent les historiens chinois, d’après les étoiles & les traces que des oiseaux & des animaux de différentes especes avoient imprimé sur un sable ferme & uni. Le nombre de ces caracteres s’est accru de siecle en siecle, mais ils ne conserverent pas toujours la même forme. Sous la dynastie impériale des Tcheou, la Chine divisée en 72 petits états tributaires, vit son écriture prendre autant de formes différentes, parce que chacun de ses rois tributaires crut qu’il y alloit de sa gloire d’avoir une écriture particuliere. Confucius se plaignoit de cet abus, & de l’altération faite aux anciens caracteres : mais enfin Chi-hoang ti, fondateur de la dynastie impériale de Thsine, ayant détruit ceux de ces rois vassaux qui subsistoient encore de son tems, & réuni tout ce vaste empire sous sa puissance, introduisit un caractere qui fût commun à tout l’empire ; il est probable même que le desir d’établir cette écriture générale, avoit occasionné en bonne partie l’incendie des livres, ordonnée avec tant de sévérité par cet empereur. Ly-ssé, son ministre qui fut chargé du soin de cette écriture, supprima les bâtons trempés dans le vernis, avec lesquels on écrivoit alors & introduisit l’usage du pinceau, plus propre à former les pleins & les déliés. Enfin Tsin-miao, qui travailloit à ces innovations sous les ordres de Ly-ssé, imagina de donner à ces caracteres une figure quarrée, sans pour cela détruire ni le nombre de leurs traits, ni leur disposition respective, & ils furent nommés ly-chu. L’écriture kiai-chu en usage aujourd’hui pour l’impression des livres, differe peu de l’écriture ly-chu.

Les anciens Philosophes chinois, qui donnerent leurs soins à l’invention des caracteres de l’écriture, méditerent beaucoup sur la nature & les propriétés des choses dont ils vouloient donner le nom propre, & ils assujettirent autant qu’ils le purent leur travail à six ordres ou classes différentes.

La premiere de ces classes appellée siang-hing, ou conforme à la figure, comprend les caracteres représentatifs des êtres ou choses que l’on veut exprimer.

La seconde, appellée tchi-ssé, représentation, contient les caracteres empruntés de la nature même de la chose. Exemple, kién, voir, est composé du caractere gîn, homme, & du caractere mou, œil, parce que la nature de l’œil de l’homme est de voir.

La troisieme, appellée hoei-y, connexion de caracteres, contient les caracteres qui ont quelqu’affinité entr’eux par rapport à leurs propriétés : par exemple, pour exprimer l’idée d’empoigner, ils se servent du caractere ho, joindre, & du caractere cheou, main, parce qu’un des offices de la main est d’empoigner, ce qu’elle ne fait que lorsqu’elle est jointe à la chose qu’elle tient.

La quatrieme s’appelle hia-ching, & contient les caracteres auxquels on a joint d’autres pour lever les équivoques qui en résulteroient lorsque leur prononciation est la même : par exemple, le mot càne, qui signifie indifféremment remercier, toucher, tenter, exciter, accompagné du mot générique , poisson, signifie alors tout simplement un brochet.

La cinquieme classe se nomme tchùen-tchú, interprétation fléxible ou infléxion de voix ; elle com-

prend les caracteres susceptibles de différens tons, & qui expriment conséquemment différentes choses. Ex. hîng au second ton signifie marcher, faire ; au quatrieme ton, action, mœurs. Il arrive assez souvent que les Chinois désignent le ton de ces caracteres ambigus par un petit o, qu’ils placent à un de leurs angles.

La sixieme & derniere se nomme kia-tsie, emprunter ; les caracteres de cette classe ont deux sortes d’emprunts ; l’emprunt du ton, & l’emprunt du sens. L’emprunt du ton se fait d’une chose qui a bien à la vérité un nom, mais qui n’a point de caractere qui lui soit particulier. Alors on donne à cette chose pour caractere, celui qui manque de caractere propre. Exemple : le caractere neng qui, au sens propre, marque un animal qui est extremement fort & puissant, signifie au sens figuré, pouvoir, puissant. L’emprunt du sens se fait en se servant de la propre signification d’un caractere ou mot pour en signifier un autre ; ainsi nui, intérieur, dedans, se prend aussi pour entrer, parce qu’on ne dit pas entrer dehors, mais entrer dedans.

La prononciation de la langue chinoise est différente dans les divers pays où on la parle, & où l’écriture chinoise est en usage ; ainsi, quoique les Japonois & divers autres peuples entendent les livres chinois & écrivent en chinois, ils n’entendroient pas cependant un Chinois qui leur parleroit.

Cette prononciation même varie dans les différentes provinces, dont la Chine est composée ; les peuples du Fokien, Tchekiang, Hou-couang, Se-tchou en, Honan, Kiangi, prononcent plus lentement, comme font les Espagnols ; ceux des provinces de Couang-tong, Couang-si, Yunnane, parlent bref, comme les Anglois ; dans la province de Nan-king, si on excepte les villes de Songkiang, Tchingkiang & Fongyang, la prononciation est douce & agréable, comme celle des Italiens : enfin les habitans des provinces de Peking, Chantong, Chansi & Chensi aspirent beaucoup, comme les Allemands ; mais surtout ceux de Peking, qui inserrent fréquemment dans leurs discours la particule conjonctive eùll.

Outre cette variété de prononciation qui ne regarde que la langue kouon-hoa, c’est-à-dire la langue commune à toute la Chine ; il existe dans cet empire, & surtout dans les provinces du midi, un grand nombre de dialectes. Chaque province, & même chaque ville du premier ordre ont la leur, qui n’est presque pas entendue dans les autres villes du même ordre. Et quoique dans les villes du second & du troisieme ordre on parle assez souvent la dialecte qui est en usage dans la ville du premier ordre dont elles relevent, il y a toujours cependant un accent différent, qui l’est tellement, dans certaines provinces, que cette dialecte pourroit passer pour une langue particuliere.

Les histoires de la Chine nous apprennent qu’avant l’invention de ces caracteres, les Chinois avoient imaginé de transmettre leurs pensées par le moyen de cordelettes nouées qui leur tenoient lieu d’écriture. Tels étoient les quipos dont se servoient les Péruviens, avant que les Espagnols eussent fait la conquête de leur pays. L’usage du papier s’introduisit à la Chine environ 160 ans avant Jesus-Christ : avant cette époque, on écrivoit avec un stylet de fer sur l’écorce, ou sur de petites planches de bambou, comme font encore à présent la plûpart des Indiens.

L’Imprimerie a commencé à la Chine l’an 927 de Jesus-Christ, sous le regne de Ming-tcoung, second empereur de la dynastie des Heou-Thang, ou seconds Thang.