ALPHABETS ANCIENS. | 13 |
car le nombre n’en peut être borné ; & il est aisé, & même quelquefois nécessaire d’en composer de nouveaux, lorsque l’occasion l’exige & que l’esprit humain étendant ses bornes, parvient à de nouvelles connoissances.
Je pense que dans les commencemens, le nombre des caracteres chinois n’excédoit pas celui des monosyllabes dont nous avons parlé ci-dessus ; c’est-à-dire, qu’il n’alloit qu’à environ 328 ; mais ce que je ne conçois point, c’est que ces caracteres se soient multipliés à l’infini, & qu’on n’ait point imaginé de nouveaux sons pour les faire entendre à l’oreille. Il y a dans cette conduite des Chinois quelque chose d’extraordinaire & de difficile à comprendre, car si la comparaison des caracteres chinois avec nos caracteres numériques est juste, on conviendra qu’il seroit impossible de faire entendre la valeur de ces chiffres, si l’on n’avoit point imaginé autant de mots qui les présentassent à l’oreille, comme l’écriture les distingue aux yeux.
Dans l’origine, les caracteres chinois étoient, comme ceux des Egyptiens, autant d’images qui représentoient les objets mêmes qu’on vouloit exprimer ; & c’est ce qui a porté plusieurs savans hommes à soupçonner que les Chinois tiroient leur origine des Egyptiens, ou que ces derniers venoient des premiers, & que leur écriture ne devoit point être différente. On a prétendu plus encore il y a quelques années, on a voulu insinuer qu’une partie des caracteres chinois étoit formée de l’assemblage de deux ou trois lettres radicales empruntées de l’alphabet des Egyptiens ou de celui des Phéniciens ; & que ces lettres déchiffrées & liées suivant leur valeur, soit égyptienne, soit phénicienne, signifioient précisément ce que ces mêmes caracteres étoient destinés à exprimer chez les Chinois. On voulut appuyer ce systême par l’histoire des Egyptiens & des Chinois, & on prétendit prouver que les noms des empereurs chinois des deux premieres dynasties Hià & Chang, écrits en caracteres chinois, mais lus à l’égyptienne ou à la phénicienne, selon le systême dont on vient de parler, offroient les noms de Menès, de Thot & des autres rois d’Egypte, suivant le rang qu’ils occupent dans le canon d’Eratosthenes. Ce systême sembloit promettre de grands changemens dans l’histoire, & ouvrir une nouvelle carriere aux chronologistes ; mais malheureusement il est demeuré systême, & j’ose desespérer que jamais on ne pourra alleguer la moindre autorité qui puisse le rendre plausible. Ce n’est point là non plus l’idée que l’on doit se former des caracteres chinois.
A l’exception d’un certain nombre de ces caracteres qui n’ont qu’un rapport d’institution avec les choses signifiées, tous les autres sont représentatifs des objets mêmes. Les choses incorporelles, telles que les rapports & les actions des êtres, nos idées, nos passions, nos sentimens, sont exprimées dans cette écriture d’une maniere symbolique mais également figurée, à cause des rapports sensibles que l’on remarque entre ces représentations & les qualités, les sentimens & les passions des êtres vivans. Les Chinois, les Egyptiens, les Mexicains & quelques peuples encore ont imaginé ces sortes de caracteres, sans pour cela qu’on puisse soupçonner qu’ils se soient copiés les uns les autres. L’embarras qui résultoit de cette écriture, & la difficulté de tracer avec exactitude des caracteres composés d’un grand nombre de traits irréguliers, engagea avec le tems les Chinois à assujettir tous leurs caracteres à une forme fixe & quarrée. En effet, tous les caracteres chinois sont composés des six traits primordiaux qu’on remarque à la tête des clés chinoises, & qui sont la ligne droite, la ligne
Mais il est bon d’avertir qu’on ne trouveroit pas aisément le nombre des traits si l’on ne faisoit point attention au coup de pinceau qui les trace ; car, par exemple, tous les quarrés, comme le 30, 31 & 44 que l’on voit dans la planche, ne sont composés que de trois traits, quoiqu’ils semblent en avoir quatre, parce que la ligne supérieure & celle qui lui est attachée & descend sur la droite, se fait d’un seul coup de pinceau. Au reste, comme nous avons observé de marquer le nombre des traits, il sera plus aisé de chercher le nombre donné, & on s’accoutumera ainsi en peu d’heures à les compter à la maniere des Chinois.
Voici maintenant l’explication des 214 clés chinoises.
1. Ye, ou Y, unité, perfection, droiture.
2. * Kuen, germe qui pousse.
3. Tien tchu, point, rondeur, houppe.
4. Pie, courbure en dedans ou à droite.
5. Ye, courbure en-dehors ou à gauche, trouble.
6. Kiue, croc, arrêt.
7. Eul, deux, les choses doublées, la répétition.
8. Theou, tête élevée, opposition.
9. Gin, l’homme, & tout ce qui en dépend.
10. Gin, le soutien, l’élévation en l’air.
11. Ge, l’entrée, l’intérieur, l’union avec.
12. Pa, huit, l’égalité, la simultanéité.
13. * Kiong, la couverture entiere, comme d’un voile, d’un casque, d’un bonnet.
14. * * Mie, la couverture partiale, le sommet, le comble.
15. * * Ping, l’eau qui gele, la glace, l’hyver.
16. Ky, table, banc, appui, fermeté, totalité.
17. Khan & Kien, enfoncement, abyme, chûte, branches élevées.
18. Tao, couteau, couper, fendre.
19. Lie, force, la jonction de deux choses.
20. Pao, l’action d’embrasser, d’envelopper ; de-là, canon.
21. Pi, culier, spatule, fonte d’eau, de métal.
22. Fang, tout quarré qui renferme, coffre, armoire.
23. Hi, toute boîte dont le couvercle se leve, appentis, aqueduc, petit coffre à charniere.
24. Che, dix, la perfection, l’extrémité.
25. Pou, jetter les sorts, percer un rocher, une mine.
26. Tçie, l’action de tailler, graver, sceller.
27. Han, les lieux escarpés, les rochers, les antres.
28. Tçu, les choses angulaires, traversées à 3, &c.
29. * Yeou, l’action d’avoir, recevoir, de joindre & croiser l’un sur l’autre.
30. Kheoù, la bouche & tout ce qui en dépend, comme parler, mordre, avaller, &c.
31. Yu, les enclos, jardin, royaume, entourer.