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ALPHABETS ANCIENS. 5
PLANCHE VI.
Alphabet Ethiopien & Abyssin.

La langue éthiopienne a eu le même sort que la langue latine, c’est à-dire, qu’elle est devenue une langue morte qui ne s’acquiert plus que par l’étude, & qui est consacrée pour les livres de religion ; aussi ces Peuples l’appellent ils Lesan ghaaz, langue d’étude ; Lesan matzhaph, langue des livres. La langue amharique ou abyssine a pris sa place ; elle est ainsi nommée de la province d’Amhar la principale du royaume d’Abyssinie ; c’est pourquoi on l’a appellée Lesan neghus, la langue royale : ce n’est pas qu’il n’y ait plusieurs autres langues différentes & quantité de dialectes qui se parlent dans les différens pays soumis à l’Ethiopie ; mais la langue amharique seule est entendue par-tout, parce qu’elle est la langue de la Cour. Elle ne l’est devenue que depuis l’extinction des rois d’Ethiopie de la famille des Zagée qui tenoient leur siege à Axuma ; car, comme la nouvelle famille qui les remplaça sur le trône parloit la langue amharique, tout le monde se fit un devoir de parler cette langue.

Au jugement de Ludolf, cette langue abyssine est très-difficile : & il conseille à ceux qui voudront l’apprendre, de commencer par s’adonner à l’étude de la langue éthiopienne, qui est à l’égard de la langue abissine, comme le latin à l’égard du françois & de l’espagnol.

Quant à la langue éthiopienne, elle dérive manifestement de la langue arabe dont elle ne semble être qu’une dialecte, non-seulement par rapport à l’identité d’un très grand nombre de radicales, mais encore par rapport à la grammaire qui est presque la même. Cette langue éthiopienne n’admet que vingt-six lettres, les Abyssins en ont ajouté sept que nous avons distinguées dans la planche.

On remarquera que les chiffres éthiopiens qu’on a eu l’attention de marquer dans cette planche, sont à proprement parler les caracteres grecs que les Ethiopiens auront probablement empruntés des Cophtes leurs voisins.

Les sept lettres que les Abyssins ont ajoutées à l’alphabet éthiopien prouvent encore l’étroite analogie de la langue abyssine avec celle des Arabes qui, comme on l’a remarqué ci-dessus, ont ajouté également un pareil nombre de lettres à leur ancien alphabet.

Les Ethiopiens sont connus dans l’Ecriture-sainte sous le nom de Chusites, parce qu’ils tiroient leur origine de Chus frere de Mesraïm & fils de Cham. Ces peuples avoient dès les premiers tems de leur monarchie, des lettres sacrées ou hiéroglyphes, dont les prêtres seuls possedoient la lecture, & des lettres vulgaires communes à tous les Ethiopiens. Diodore de Sicile même prétend dans un endroit de son histoire, que les Egyptiens avoient reçu des Ethiopiens ces lettres sacrées, prétention que feu M. l’abbé Fourmont a voulu appuyer par une Dissertation imprimée dans le cinquieme volume des mémoires de l’académie des Belles-Lettres ; mais je ne vois pas qu’il y détruise les témoignages de Sanchoniathon, de Ciceron, d’Anticlides cité dans Pline, de Platon, d’Eusebe de Cesarée, de Lucain, enfin de Diodore même, qui font honneur de cette invention au fondateur de la monarchie égyptienne, qu’ils nomment Menès, Mercure, Thot, Osiris, &c.

PLANCHE VII.
Alphabet Cophte, ou Egyptien & Grec.

On a joint dans une même planche les alphabets cophte & grec à cause de l’étroite liaison qui

subsiste entre l’un & l’autre. En effet, à l’exception de sept lettres que les Cophtes ont ajoutées de plus à leur alphabet, il est visible que toutes les autres lettres cophtes ne sont point différentes des majuscules greques ; même figure, même dénomination, même valeur : ces lettres greques furent introduites en Égypte, sous le regne des successeurs d’Alexandre dans ce royaume. La langue cophte qui ne subsiste plus que dans les livres des chrétiens d’Égypte, est un mélange de grec, & de l’ancienne langue égyptienne ; peut-être aussi s’y trouve-t-il beaucoup de termes empruntés des anciennes langues persanes & éthiopiennes, car on sait que l’Égypte fut soumise tour à tour aux Persans & aux Ethiopiens : mais ce qui rend la langue cophte d’aujourd’hui particuliere & originale, c’est que sa grammaire est différente de la greque & des langues orientales : nonobstant cela je suis fort éloigné d’en conclure, comme l’a fait M. l’abbé Renaudot (sur l’origine des lettres greques. Mémoires de l’acad. des Belles-Lettres, tom. II. pag. 274.) que l’ancienne langue égyptienne n’avoit aucun rapport avec l’hébreu & le phénicien ; & je suis très-persuadé qu’on ne doit pas en juger par la langue cophte d’aujourd’hui qui est bien différente de cette ancienne langue égyptienne. Sans alleguer d’autres preuves à cet égard, je ferai seulement observer que Mesraïm & Canaan étoient freres, qu’ils parloient la même langue, & que leurs partages se touchoient. Or, comment penser après cela que le phénicien & l’égytien différoient essentiellement l’un de l’autre ? La proposition ne paroît pas recevable.

Cadmus, prince phénicien qui conduisit une colonie dans la Gréce, communiqua aux Grecs l’alphabet phénicien ; mais les Phéniciens eux-mêmes tenoient cet alphabet des Egyptiens ; & par une suite des révolutions qui changerent la face de l’Égypte, les Ptolemées montant sur le trône d’Égypte, introduisirent l’usage des lettres greques qui firent insensiblement oublier l’ancien alphabet égyptien.

C’est à l’idolâtrie des Egyptiens que l’écriture doit son origine. Sanchoniathon, ancien auteur phénicien, dont Eusebe nous a conservé un fragment, dit que le dieu Thoor (c’est Osiris ou Mercure Anubis que l’on a appellé Thot par corruption) inventa l’écriture des premiers caracteres, qu’il tira les portraits des dieux pour en faire les caracteres sacrés des Egyptiens. En effet, ces portraits des dieux étoient chargés d'emblèmes significatifs, & formoient déja une sorte d’écriture figurée qui peignoit aux yeux la vertu & les différentes qualités & actions des grands hommes que l’on représentoit. Cette invention, grossiere d’abord, reçut bien-tôt quelque perfection : le pinceau & la plume succéderent au ciseau. On simplifia ces portraits & ces figures allégoriques, on les réduisit, pour plus de facilité, à un très-petit nombre de traits. Telle fut l’origine de l’écriture sacrée des Egyptiens : elle fut imaginée d’après ce que l’on appelloit les hieroglyphes, c’est-à-dire, les sculptures sacrées, & les grammata, c’est-à-dire, les lettres ou portraits des dieux.

Il paroît constant par Socrates cité dans le Phédre de Platon, par Diodore de Sicile, Ciceron, Pline & par plusieurs autres anciens écrivains, que l’écriture alphabétique est de l’invention du même prince nommé par les uns Menès ou Mercure, par les autres, Hermès, Thot, Osiris, &c. Suivant le témoignage de plusieurs de ces écrivains, le monarque égyptien avoit le premier distingué les voyelles des consonnes, les muettes des liquides ; & il étoit parvenu à assujettir le langage alors barbare à des regles fixes, & à régler jusqu’à l’harmonie des mots & des phrases. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce