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obligé de recourir à des modèles étrangers, il ne leur permertoit de découvrir que les parties nécessaire ; à ses études, & comme il observoit toujours la décence dans ses tableaux, ses modèles n’avoient eux-mêmes jamais besoin de manquer devant lui à la décence.

Il sut qu’un de ses élèves avoit fait un trou à la cloison pour regarder un modèle de femme qu’il peignoit, il le chassa de son attelier.

L’Albane étoit laborieux, sincère, désintéressé : il fut ruiné par son frère qui le trompa : ce frère étoit procureur. L’artiste chargé d’une nombreuse famille, & sans fortune dans la vieillesse, fut obligé de travailler avec opiniâtreté dans l’âge qui demande du repos, & de nuire à la réputation qu’il s’étoit faite, en hâtant & négligeant ses ouvrages. Il faisoit même copier ses tableaux par ses élèves, retouchoit ces copies & les vendoit comme des originaux, ou du moins comme des doubles de sa main. Il mourut de defaillance à Bologne en 1660, âgé de quatre-vingt-trois ans.

On connoit de lui des tableaux dont on loue la composition, mais souvent aussi il composoit mal, semant les figures de côté & d’autre, sans groupper ni les objets ni les lumières, & se mettant, par ce vice d’ordonnance, dans l’impossibilité d’établir de beaux effets de clair-obscur, mais plaisant toujours par des graces de détail. Il avoit une finesse de dessin admirable dans les tête & les mains des femmes. Quoique les figures d’hommes soient moins belles, & qu’on puisse les accuser de n’avoir pas un grand caractère, il les a quelquefois très bien traitées, leur a donné de belles têtes, & les a généralement bien dessinées. Ses figures d’enfans sont toujours pleines de charmes : c’étoit d’après ses propres enfans, qui étoient au nombre de douze, qu’il en faisoit les études. Tous étoient beaux : sa femme se plaisoit à les lui tenir tantôt dans ses bras, tantôt suspendus par des bandelettes. C’est d’après les enfant de l’Albane que François Flamand a fait ces modèles d’enfans qui sont si connus, si estimés, si souvent étudiés des artistes.

L’Albane étoit heureux dans ses attitudes, & faisoit un bon choix de draperies. On ne peut pas célébrer en lui la science de l’expression ; on ne peut guère l’accuser non plus d’en avoir manqué, parce qu’il traitoit ordinairement des sujets qui n’exigeoient que l’expression d’une douce gaieté. On lui reprocheroit avec plus de justice d’avoir trop souvent répété les mêmes sujets & les mêmes airs de têtes ; on sent trop qu’il se servoit toujours des mêmes modèles.

Sa couleur est souvent jaunâtre & foible ; en général elle est agréable sans avoir beaucoup de fraîcheur. Son pinceau est flatteur & doux, & l’on peut dire généralement que le


caractére de ce maître est un peu doucereux. Il paroît que s’il a été conduit quelquefois au clair-obscur, ça été plutôt par instinct ou par un hasard heureux, que par principe. Il faisoit bien le paysage, ou plutôt les jardins décorés, & se plaisoit à les faire servir de fonds à ses tableaux. Quand il résidoit à Bologne, il avoit soin de louer toujours un jardin près de la ville. Cependant son paysage est plus agréable que savant, & n’est point assez varié.

« Moins ingénieux, dit M. Cochin, que les autres élèves des Carraches, souvent même froid dans ses compositions, moins coloriste, & presque sans fraîcheur dans les demi teintes, moins caractérisé & moins savant dans son dessin, il a cependant été mis par la postérité au même rang que ces maîtres, par un talent qui lui est propre : tant il est vrai qu’une seule partie essentielle de l’art, portée au plus haut dégré, suffit pour acquérir la plus grande gloire. La pureté & les graces du dessin qui lui sont particulières, surtout dans les belles têtes, seront toujours un objet d’admiration. Si le Guide ne laisse rien à desirer pour les graces fines, naïves & délicates, l’Albane se distingue par les graces nobles, sages, régulières. C’est la vraie beauté dont le modèle n’est point connu dans la nature, quoiqu’elle en présente plusieurs approximations. »

« C’est à Bologne qu’on peut voir les plus beaux ouvrage, de ce grand maître ; ceux qu’on trouve de lui ailleurs ne sont, pour la plupart, que des tableaux de chevalet : les mêmes beautés s’y découvrent ; mais elles sont bien plus satisfaisantes, quand on les voit déployées dans des figures de grandeur naturelle. »

On voit au cabinet du roi vingt-cinq tableaux de l’Albane. Ce que nous venons de transcrire sur le caractère général de ce maître nous dispense d’entrer dans aucun détail sur ces tableaux. Il en est quatre que Lépicié regarde ingénieusement comme un poëme pittoresque divisé en quatre chants : le premier représente Vénus se faisant parer par les Graces pour charmer Adonis ; le second, Vénus ordonnant aux Amours de forger de nouveaux traits pour blesser le cœur d’Adonis ; le troisième, Diane irritée du triomphe de Vénus, profitant du sommeil des Amours pour les faire désarmer ; le quatrième enfin, le sommeil de Vénus, ou le nouveau piége qu’elle tend au cœur d’Adonis. Il suffit de connoître l’Albane pour juger du parti qu’il a tiré de ces sujets, des charmes qu’il a répandus sur les sites, des graces qu’il a données à Vénus, aux Nymphes, aux Amours. On jugeroit mal de ces tableaux par les estampes d’Etienne