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ses, & un nombre considérable de petits tableaux.

Mais s’il a produit à Rome un grand nombre d’ouvrages, on peut lui reprocher d’y avoir fait trop péu d’études & de ne s’être pas assez attaché aux chefs-d’œuvre qui rendent cette ville la plus belle & la plus savante école des arts. Il se contentoit de regarder ces excellens modèles, & se fioit à sa mémoire, qui étoit fort heureuse, du soin d’en conserver les beautés : méthode insuffisante & dangereuse : pour s’identifier les talens des grands-maîtres, il faut par ses études en reproduire les ouvrages. « Il est difficile de décider, dit un artiste, M. Deschamps, si la mémoire est un don de la nature plus avantageux que funeste aux artistes. Si elle leur rend présens les grands modèles, elle les trompe aussi quelquefois ; ils prennent leur imagination pour une réminiscence, & ne suivent souvent que des chimères. »

Il est incertain que Spranger ait fait un seul dessin d’après l’antique, un seul d’après Raphaël. S’il n’a copié aucun des ouvrages de Michel-Ange, il semble les avoir du moins cansidérés attentivement, & il paroît avoir forcé la manière déjà outrée de cet artiste. Il a traité les extrémités d’une façon bizarre, tourmenté les attitudes & donné généralement une caricature barbare à son dessin. Il travailla presque toujours de pratique, & fut maniéré dans la couleur comme dans les formes : mais il avoit une imagination abondante & facile, une composition riche, & une douceur de pinceau, une beauté de touche qui inspiroient l’indulgence pour ses défauts.

Mandé à Vienne par l’Empereur Maximilien Il, il décora près de cette ville le château impérial de Fasangarten. Négligé quelque temps par Rodolphe, successeur de Maximilien, il en reçut dans la suite plus de bienfaits que de son prédécesseur & lui consacra ses talens pendant dix-sept ans entiers. Il dut cette faveur encore plus à son esprit qu’à ses talens pittoresques ; car on ne voit pas que Rodolphe ait aimé particulièrement les arts. Le prince goûtoit la conversation de l’artiste au point de lui ordonner de travailler toujours auprès de lui, & l’attelier du peintre devint le lieu où l’Empereur prenoit le plus volontiers ses délassemens. Spranger devint noble & opulent, & auroit fait encore une plus grande fortune, s’il avoit connu la cupidité : mais content de solliciter son maître en faveur de ses amis, il ne demandoit rien pour lui-même. Un riche mariage combla sa fortune & surpassa ses desirs. Sa maison de Prague, qu’il décora lui-même, fut un palais, & la peinture ne fut plus pour lui qu’une récréation. Ses tableaux sont très rares dans les cabinets, parce que la plus


grande partie de sa vie fut consacrée aux Empereurs Maximilien & Rodolphe.

Absent depuis trente-sept ans de sa patrie, il voulut la revoir, & fut reçu dans toutes les villes de la Flandre avec les plus grands honneurs. Il retourna à Prague, où il mourut dans un âge fort avancé.

Estampes d’après Spranger. Les noces d’Hercule & d’Hébé par Muller ; les portraits de Spranger & de sa femme par G. Sadeler ; les saintes femmes allant au tombeau de Jesus-Christ par le même ; Saint Dominique en méditation par Corn. Cort ; le grand banquet des dieux par H. Goltzius.


(55) Camille Procaccini de l’école Lombarde, né à Bologne en 1546, élève d’Hercule, son père, entra ensuite dans l’école des Carraches, qui étoient cependant beaucoup moins âgé que lui. On pourroit croire que Camille, & Jules César son frère, élève des mêmes maîtres, sont nés plus tard que ne le supposent les Biographes ; mais je penserois plutôt qu’on les a supposés élèves des Carraches, pour ne pas déranger le systême qu’on s’étoit formé, suivant lequel ces grands maîtres ont été les restaurateurs de l’art ; systême qui souffriroit quelqu’atteinte, s’il avoit paru avant eux, & sans leur secours, des artistes du mérite des Procaccini ; systême qui étoit déjà renversé par le talent du Tibaldi. Mengs, au lieu de regarder les Procaccini comme des disciples des Carraches, dit que les Carraches s’étudierent à les surpasser.

Ce qui est certain, c’est que Camille travailla en concurrence à Bologne avec les Carraches, qu’il fit ensuite le voyage de Rome, où il se perfectionna par des études laborieuses, & qu’il s’établit ensuite à Milan où il n’eut point de rivaux. Il a peint dans cette ville des plafonds dont les figures sont pleines d’expression, mais terribles & gigantesques.

Il avoit une couleur vigoureuse, même dans la fresque, de belles ordonnances, une grande liberté de pinceau, une bonne manière de draper, & donnoit beaucoup de mouvement à ses figures. Quelquefois il étoit incorrect dans le dessin, observoit mal les proportions, & faisoit les extrémités trop fortes ; mais il n’avoit pas ces défauts dans ceux de ses ouvrages qu’il prenoit la peine d’étudier ; alors ses airs de tête, ses draperies, son goût de peindre tenoit de l’imitation de Raphaël. Il est mort à Milan en 1626, âgé de quatre-vingt ans.


(56) Jules-Cesar Procaccini, né à Bologne en 1540, fut d’abord destiné à la sculpture, & la quitta ensuite pour la peinture. On le compte, ainsi que son frère, entre les élèves des Carraches, ce qui est peu vrai-