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Comme cependant toutes les personnes qui employent les artistes ne sont pas éclairées, & ne sont pas des amateurs ; & que tous les artistes eux-mêmes n’ont pas toujours la noblesse de penser que doit inspirer l’exercice d’un art libre, il arrive qu’il s’élève des contestations entre les peintres, sculpteurs, graveurs, & ceux qui les employent.

Sans prétendre épuiser tous les cas susceptibles de procès relatifs aux beaux arts, nous nous bornerons à ceux qui sont les plus communs. En les exposant, notre dessein est de mettre les juges à portée d’y appliquer utilement les points de droit auxquels ils auront rapport. La plupart de nos résultats ne nous ont été dictés que par les lois de l’équité naturelle, d’après les connoissances que nous avons sur les travaux des artistes, qui, comme on le verra, ne doivent pas être traités comme ceux des autres professions.

Les difficultés sur le payement d’un ouvrage de l’art peuvent naître de deux circonstances nécessaires à distinguer 1o. Celle où l’on n’aura pas fait de conventions, 2o, celle dans laquelle il aura été fait des conventions, soit verbales, soit par écrit.

Dans la première circonstance, l’homme qui a demandé un ouvrage peut refuser de le payer, principalement sur trois motifs.

Le premier, parce que le prix demandé par l’artiste lui paroît excessif.

Le second, par le défaut de ressemblance, si c’est un portrait.

Le troisième, parce que l’ouvrage est inférieur à ce qu’on avoit droit d’attendre du talent de celui qui a été choisi pour le faire.

Examinons le premier de ces motifs, & convenons d’abord qu’on est en droit de se refuser au payement d’un ouvrage, si l’artiste exige un prix qui paroisse excessif. Car quoiqu’on dise communément : cet ouvrage est impayable, il est sans prix, &c ; on a droit aussi de répondre : chaque chose a son prix. Pour le déterminer, les arbitres nommés par le juge auront à considérer le mérite de l’ouvrage, & ses défauts ; ensuite quel est le dégré de talens de son auteur ; quels prix lui sont donnés ordinairement pour ce qui sort de sa main ; enfin, par approximation, quel est le prix donné aux artistes de son rang, pour des ouvrages à-peu-près du même genre que celui qui donne lieu au procès.

Pierre, citoyen d’une fortune aisée, a demandé un tableau sans convenir du prix : il est content de l’ouvrage. Le peintre lui demande dix mille livres. Pierre refuse ce payement, par la raison que le pendant d’un tableau qu’il vient de faire faire, & qui est aussi l’ouvrage d’un habile homme, ne lui a coûté que trois mille livres. Le peintre soutient que, sans avoir égard au mérite ni au prix du pendant de son tableau, le sien lui doit être payé la somme demandée, parce que c’est son prix, & qu’il lui a été alloué pareille somme de dix mille livres pour un ouvrage de même nature, fait pour tel Prince, &c.

L’affaire mise en arbitrage ; si le tableau, quoique beau, ne doit pas être porté à dix mille livres, eu égard au prix commun des autres artistes distingués, il nous semble que Pierre ne doit pas être tenu de payer cette fourme.

D’un autre côté, il ne seroit pas juste de réduire l’artiste au prix du tableau que Pierre a fait faire précédemment pour la somme de 3000 livres, qui peut avoir été consentie par des raisons particulières de la part de l’artiste. Si on pense que le tableau qui fait l’objet de la discussion vaut 5 ou 6,000 livres, on peut fixer le payement a cette somme ; mais en laissant toujours le peintre maître de retirer & garder son ouvrage.

Deuxième motif de refus.

Un homme fait faire son portrait, il ne veut pas le recevoir parce qu’on ne le trouve pas ressemblant : il n’en doit pas moins payer le prix convents.

Sur le fait de la ressemblance, il n’y a pas de tableaux ou statues portraits qui réunissent tous les suffrages, & qui n’éprouvent les opinions les plus contradictoires. Première raison pour ne pas condamner le peintre ou le sculpteur.

Allons plus loin : quand le défaut de ressemblance existeroit aux yeux de la plupart de ceux qui seroient consultés, nous pensons que l’artiste doit recevoir le prix de son travail, même sans dire d’experts, parce que le succès en cette partie est indépendant de son talent, & même de son application la plus vive. Ce succès tient souvent à la nature des traits que nous avons à imiter, à notre manière particulière de voir & de sentir, enfin au plus ou moins de patience du modèle & à des variations dont sa physionomie est susceptible. De plus, nous allons prouver dans le paragraphe suivant que l’on ne doit prétendre qu’à reconnoître les peines & l’emploi du tems d’un artiste, & jamais ses succès.

Troisième motif de refus : celui-ci regarde la bonté de l’ouvrage du côté de l’art. On ne veut ni accepter ni payer un tableau, ou parce qu’il n’a pas de succès dans l’opinion publique, ou parce qu’il ne répond pas aux idées qu’on s’étoit formé du talent de son auteur.

Avant que de donner une opinion sur cette espèce, il est bon d’entrer dans quelques détails sur le défaut de réussite dans les beaux-arts. Posons d’abord ce principe vrai : que dans les arts qui dépendent du génie de l’auteur

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