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M. d’Hancarville fait à ce sujet des réflexions qui ont éré fort juftes à certaines époques & qui peuvent le devenir encore. C’est ce qui nous Engage à les rapporter, quoique l’auteur paroisse avoir eu plutôt en vue l’Italie que la France.

« Quelques artistes très-capables, dit-il, & quelques vrais amateurs de l’art, frappés de sa dégradation, s’unirent pour chercher du remède à un mal qu’on ne pouvoit s’empêcher de sentir. Leur intention éroit bonne, mais le succès n’y répondit pas, & les moyens qu’ils employèrent, purent contribuer encore à hâter la chûte qu’ils avoient voulu prévenir. Ils imaginèrent des établissemens qui furent nommés académies, & fi l’on ne peut reprocher à ces institutions la décadence de la peinture, c’est parce qu’elle les avoir précédées. Bientôt la nécessité de faire nombre plaça à côté de gens de mérite, des gens qui n’en avoient aucun. Ceux-ci, pour cacher leur manque de talent, & pour augmenter leur crédit, se donnèrent à eux-mè-mes le titre de professeurs qui en impose au vulgaire ; leurs maisons se remplirent d’apprentis qu’ils appelèrent leurs élèves : ils proposèrent cent leurs propres ouvrages pour modèles, & leurs opinions pour maximes. On vit avec douleur leur voix régler les distinctions destinées à l’encouragement de la jeunesse. Ayant la disposition de ces récompences, ils obtinrent les suffrages de leurs confrères en faveur de leurs disciples, & a donnèrent les leurs aux disciples de leurs confrères. La protection distribuant le prix qui n’étoit dû qu’à la capacité, l’intrigue tint lieu de talent, & les honneurs qui eussent animé le génie ne servirent plus qu’à énorgueillir des gens qui en manquoient. »

« Si l’on eût consulté k bien de l’art, on eût toujours fait le choix de celui dont la manière differant le plus de celle de ses maîtres, s’approchoit davantage de la nature : mais ces maîtres eux-mêmes, devenus juges, firent pencher la balance du côté des élèves qui les copioient le plus servilement. Ainsi l’on vit couronner ceux qui surpassoient tous les autres dans une maniere où le plus ignorant étoit précisément celui qui devoit être récompensé. Fier de l’avoir emporté sur leurs rivaux, flattés d’être les objets d’un choix que le public, sembloit approuver, ils pensèrent mériter cette distinction pour l’avoir obtenue ; & parce qu’on les croyoit capables de devenir de bons artistes, ils s’imaginèrent l’être déja. Dès-lors, au lieu de juger de leurs ouvrages, par la comparaison de ceux des grands maîtres, ils décidèrent du mérita des chefs-d’œuvre des plus grands peintres en les comparant à leurs propres ouvrages, & se préparèrent d’avance à ne les approuver qu’autant qu’ils leurs ressembleroient. Comme ils trouvèrent que tout ce que ces peintres avoient fait, étoit totalement opposé à ce qu’ils avoient appris, ils aimèrent mieux blâmer les anciennes méthodes, que de réformer celles qu’ils avoient adoptées, & s’imaginèrent devenir des gens habiles en critiquant ceux qui Pétoient réellement, & en méprisant ce qu’ils ne pouvoient imiter. Beaucoup de ces personnes qui ne se décident que fur l’opinion de ceux en qui elles ont mis leur confiance, parce qu’elles leur croyent de la capacité, ont adopté le goût de ces mêmes artistes, pensant qu’ayant étudié en Italie, ils devoient nécessairement être plus habiles que les autres. »

« Mais à quoi sert d’avoir vécu en Italie, si l’on n’y a fait que ce que l’on eût pu faire sans sortir de chez soi ? Si l’on n’y a pas porté des yeux capables de sentir les beautés qu’elle renferme ? Si enfin ce que l’on voit, au lieu de détruire les fausses maximes qu’on y a apportées, ne sert qu’à les confirmer ? »

« Ce n’est pas que, dans la foule, il ne se soit trouvé des hommes qui, ouvrant les yeux à la vérité, ont vu ce qu’il convenoit de faire, & ont fait des efforts pour arriver a ce qu’ils croyoient le meilleur. Mais dès-lors, leur conduite paroissant un reproche pour leurs confrères, ceux-ci sont devenus leurs ennemis. Et comme ils formoient le plus grand nombre, & que par-là même leurs opinions décidoient de la réputation des premiers, ils les ont obligés de sacrifier leurs progrés à leur fortune, & de quitter de bonne heure une méthode que d’ailleurs le goût de leur pays, & la nécessité de flatter ce goût, les auroient dans la suite contraints de réformer. On peut voir, sur ce que nous venons de dire, l’apologie que Nicolas Poussin fut obligé de faire de fa manière attaquée par des adversaires tels que ceux dont nous venons de parler. »


PROCÈS, (subst. masc.). Il paroîtra peut-être étrange qu’on ait cru devoir faire sur ce mot, un des articles de cet ouvrage, consacré aux beaux-arts. Ceux qui les cultivent, fuyent les procés, inde litibus ([1]), les amateurs éclairés sentent combien tout payement est au-dessous du prix d’un bon ouvrage, & même des efforts & des études qu’il saut faire pour en produire un médiocre. Aussi ne sont-ils pas portés à disputer sur le payement des productions de l’art.

  1. (1) Dufresnoy.