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d’emprunter de l’argent à ses élèves jusqu’à ce qu’il eût pu recevoir de quelques uns de ses tableaux un prix supérieur à celui qu’il accusoit à sa femme. Il parvint, par ces innocentes supercheries, à se faire une riche collection, qui fut vendue fort cher à sa mort. Il avoit acheté soixante florins une épreuve du massacre des Innocens de Raphaël, gravé par Marc-Antoine.

Il prenoit en Été le travail à quatre heures du matin, & ne l’abandonnoit que le soir. Il joignoit une facilité prodigieuse à son extrême assiduité. Juste Van Hysum, l’un de ses élèves, rapporte qu’il sembloit se jouer en opérant, & qu’il l’a vu composer & peindre ses tableaux en chantant, comme s’il n’eût pas eu la plus légère occupaiton.

On pourroit demander en quels instants il faisoit ses études, puisqu’on sait qu’il vivoit toujours enfermé dans son cabinet, & qu’on voit, en même temps, dans ses ouvrages une fidelle imitation de la nature. Mais les modèles dont il avoit besoin pour son genre étoient toujours posés devant lui ; il habitoit le château de Benthem, & des fenêtres de son attelier, il voyoit une belle campagne couverte de troupeaux ; fréquentée par leurs conducteurs. Ce qu’il voyoit, il le portoit sur la toile. C’étoit de ces études que se nourrissoit celui des paysagistes de la Hollande dont les tableaux sont le plus recherchés, quoique, par sa prodigieuse sécondité, ce soit celui dont ils sont le plus communs. Leur mérite leur laisse le prix de la rareté. C’étoient ces études qui lui permettoient de varier à l’infini ses compositions : elles sont riches & diversifiées comme la nature elle-même, que leur auteur avoit sans cesse sous les yeux. Les animaux créés par son pinceau, vivoient sur la toile, comme ils vivoient dans la campagne voisine de Benthem. Sans cesse témoin des effets divers que causent la marche & la forme des nuages, lorsqu’ils interceptent en partie la lumière du soleil, il a reproduit ces accidens heureux dans ses compositions, & a su faire agir à son gré la magie du clair-obscur. Il a tout fini, & n’a jamais rien lèché. Sa touche est fine, son pinceau large, sa couleur lumineuse, ses masses d’ombres savamment reflètées, ses bruns transparens. Chez lui, tout est chaud, tout est spirituel, tout vit, tout respire. Il est mort à Harlem, en 1683, âgé de cinquante-neuf ans.

On voit de lui, au cabinet du roi, deux très-beaux tableaux. L’un représente une femme sortant du bain ; l’autre une bergère qui file ; ces deux paysages sont enrichis d’animaux.

Berghem a gravé un assez grand nombre d’eaux-fortes d’après ses tableaux. Corneille & Jean Visscher ont aussi gravé plusieurs morceaux


de ce peintre. On estime un grand paysage gravé d’après Berghem par Aveline.


(198) Carle Maratti, de l’école Romaine, né à Camérano près d’Ancone en 1625, montra, dès son enfance, la plus forte inclination pour la peinture. Il copioit toutes les estampes qui lui tomboient sous la main ; s’il trouvoit quelques images enluminées, il tâchoit d’en imiter les couleurs avec des jus d’herbes. Il eut le bonheur de rencontrer un livre de principes du dessin, & crut posséder un trésor. Il fut enfin envoyé à Rome & reçu dans l’école d’André Sacchi où il passa dix-neuf-ans entiers. L’opiniâtreté de ses études a quelque chose d’effrayant pour ceux qui ne sont point animés de l’enthousiasme des arts. Dès le matin, dans toutes les faisons, il se rendoir au Vatican où il étudioit les ouvrages de Raphaël dont son maître lui avoit inspiré l’amour. Il faisoit le soir un chemin sort long pour venir étudier d’après le modèle chez le Sacchi, gagnoit ensuite le quartier éloigné qu’il habitoit, & au lieu de prendre du repos, il faisoit des esquisses pour s’exercer à la composition.

Jules Romain, Poiidore de Caravage, &c. restèrent dans l’école de Raphaël tant que vécut ce grand artiste, quoiqu’eux-mêmes déjà fussent les plus habiles maîtres de Rome ; ainsi Carle Maratte, encore élève du Sacchi, jouissoit de la réputation que méritoient ses talens déjà distingués & reconnus. D’abord il se rendit célèbre en qualité de dessinateur, & eut la satisfaction de voir le célèbre sculpteur François Flamand rechercher ses ouvrages ; bientôt après il se fit estimer en qualité de peintre ; donnant à ses tableaux tous les soins d’un artiste qui ne travaille que pour la gloire. Déjà même, il avoit les envieux & des détracteurs. Les juges équitables célèbroient la manière agréable dont il peignoit les Vierges ; mais les jaloux soutenoient que s’il se renfermoit dans un sujet si simple, c’est que son génie étroit & stérile ne pouvoit suffire à de plus grandes cempositions. Ils l’appelloient avec épris Carluccio delle Madone. Le parti de ses ennemis étoit d’autant plus imposant, qu’il se voyoit appuyé par le Bernin, ennemi déclaré de Carle Maratte, parce que ce peintre naissant avoit pour maître le Sacchi que le Bernin haïssoit. Si Maratte étoit borné à ne faire que des Vierges, on en pouvoit, accuser le Bernin lui-même, qui disposoit à Rome de toutes les grandes entreprises, & donnoit, sur l’élève de Sacchi, la préférence à des artistes bien inférieurs.

Enfin le Sacchi parvint à obtenir pour son disciple un des tableaux du baptistère de Saint Jean-de-Laran, celui qui réprésente la destruction des idoles par Constantin. Cet ouvrage, qui intimida la calomnie, fut suivi d’au-