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phaël le sceptre de la peinture. Toutes ces parties se trouvent en un dégré éminent dans les belles statues antiques : pouvons-nous même raisonnablement présumer qu’elles ne se trouvoient pas au même dégré, dans les beaux tableaux des grands peintres de la Grece ? Mais si les belles peintures antiques avoient le mérite de réunir ces parties supérieures de l’art, comme l’avouent même ceux qui veulent dégrader les peintres anciens, combien ne devoient-elles pas l’emporter sur les ouvrages modernes qui, n’offrant ces parties que dans un dégré inférieur, brillent par les alléchemens du coloris, par ces recherches de clair-obscur qu’on appelle magiques, par le fracas de la composition, par des grouppes artistement agencés, par ce maniment de pinceau qu’on nomme goustose ? En paroissant n’attaquer que les anciens, on détrône Raphaël lui-même, pour mettre à sa place des artistes d’apparat, des peintres décorateurs. Il n’excelloit pas dans ces parties inférieures de l’art qu’on met à si haut prix ; il ne réunissoit pas au même dégré que les anciens statuaires les parties éminentes que devoient posséder aussi les grands peintres de l’antiquité ; & cependant il est le plus grand des peintres qui soient nés de puis la renaissance des arts. Ce qui peut étonner, c’est que les détracteurs des peintres antiques, avouent la supériorité de Raphaël sur les peintres qui l’ont suivi, & cet aveu, peut-être peu sincere dans leur bouche, ne leur fait pas sentir l’inconséquence de leur raisonnement.

La couleur brillante des écoles Venitienne & Flamande convient peu au grand genre de l’histoire, & ne peut-être justement préférée à la grande pureté du dessin, à la suprême beauté des formes, à la profonde science de l’expression.

Il restera toujours des amateurs du grand & du beau qui reconnoîtront que si, depuis Raphaël, on a perfectionné certaines parties de l’art, on n’a cependant pas égalé cet illustre maître. Ces parties que l’on a perfectionnées ne sont que secondaires ; mais on est devenu plus foible dans les parties principales, & ce n’est pas sur leur supériorité dans des parties inférieures que les artistes récens pourront établir justement la supériorité de leur talent sur celui de Raphaël & des peintres de l’antiquité.

Par rapport à la couleur, il faut établir deux époques chez les anciens : celle de Polygnote & de ses premiers successeurs, celle des peintres qui ont fleuri dans âges suivans.

Le coloris de Polygnote étoit dur, sa manière avoit quelque chose de sauvage : mais son dessin étoit du plus grand caractère. Dans les âges suivans la couleur étoit devenue plus variée plus brillante, plus harmonieuse, & la manœuvre plus agréable ; mais le dessin étoit devenu moins exact & moins pur. Aussi les


véritables connoisseurs continuoient-ils de préférer les ouvrages de l’ancienne école, comme aujourd’hui les juges sévères, les amateurs du vrai beau préférent les ouvrages des anciennes écoles romaine & florentine aux tableaux plus brillans des maîtres postérieurs.

Je ne crois pas que, dans aucun temps, les peintres Grecs aient porté la couleur jusqu’au prestiage de celle du Titien ou de Rubens : mais il faudroit s’appuyer sur quelque chose de plus que de foibles conjectures, pour nier qu’ils aient pu avoir du moins une couleur agréable : on sait qu’ils ont traité des genres qui n’empruntent qu’à cette partie leurs moyens de plaire, & c’est une assez forte présomption en faveur de leur coloris : en sait aussi qu’ils ont mérité les reproches des connoisseurs pour avoir sacrifié aux charmes de la couleur des parties plus importantes : ces reproches se trouvent dans Pline & dans Denys d’Haly carnasse. Mengs dit qu’on voit à Rome la figure d’une Rome tromphante, peinte à ce qu’on prétend du temps de Constantin, qui est d’un très bon ton de couleur. Le temps de Constantin étoit loin d’être le bel âge de la peinture. ([1])

Quant au travail de la main, ils n’avoient pas sans doute la manœvre qui ne convient qu’à la peinture en huile & que n’admettoient ni la fresque, ni la détrempe, ni l’encaustique ; je suis également persuadé qu’ils n’avoient pas plus de ce que nous appellons esprit dans le travail de la peinture, que leurs grands écrivains n’avoient de ce que nous appellons esprit en littérature ; c’est un mérite subalterne que, dans tous les genres, les Grecs ont regardé comme indigne d’eux : mais on loue la facilité du faire & la touche de la noce aldobrandine ; des artistes très estimables, qui ont bien vu les peintures d’Herculanum, assurent que plusieurs de ces morceaux sont très bien peints, avec une franchise sçavante & d’une bonne couleur.

On sait que les anciens ont traité des sujets qui supposoient de grands effects de clair-obscur : tel étoit celui de cet enfant qui souffloit un feu don’t sa bouche & l’appartement étoient éclairés. Peut-être cependant n’ont-ils pas poussé cette partie jusqu’à cet idéal que nous appellons magique ; mais ils la possédoient assez bien pour

  1. (*) Dans la plupart des fresques d’Italie, on voit souvent, dit M Cochin une draperie bleue ou rouge, ombrée bonnement avec le même bleu ou le même rouge, où seulement il est encré moins de blanc, mais sans aucun mélange ou rupture d’une autre couleur qui puissent salir & rompre ce bleu ou ce rouge. C’est un grand défaut de couleur, qui n’empêche cependant pas de mettre les auteurs de ces fresques au nombre des plus grands maîtres. Des imperfections dans la couleur des peintres antiques, ne doivent donc pas les dégradee à nos yeux.