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qui nous restent de la peinture antique, les conjectures vraisembleables que nous pouvons former sur ceux qui ont péri, semblent prouver que, surtout dans la composition, les peintres Grecs ne suivoient pas les mêmes principes qui ont reçu force de loix dans nos écoles : d’où nous conculuons que ces peintres étoient inférieurs aux nôtres : encore sommes-nous bien modérés, quand nous ne prononçons pas qu’ils étoient des peintres méprisables. On peut, en faisant usage du même raisonnement, prouver qu’Homère ne savoit pas faire un poëme épique, que Scphocle, Euripide, & encore plus Eschyle ne savoient pas faire de tragédies. Assurément les tragédies de Sophocle, le plus parfait des tragiques anciens, ne différent pas moins des tradedies angloises on françoises, que les tableaux d’Apelles ou de Protogenes ne pouvoient différer des tableaux de nos écoles.

La principale cause de cette différence, c’est que, dans tous les genres, nous ne cherchons pas moins la complication, que nous décorons du nom de richesse, que les anciens ne cherchoient la simplicité : c’est ce que prouvent nos tragédies, nos tableaux, comparés aux tableaux, aux tragédies des Grecs.

Ce n’est pas que d’abord les Grecs n’aient aimé dans les tableaux les sujets composés d’un grand nombre de figures : Polygnote, l’un de leurs plus anciens peintres, représentoit tantôt la prise de Troie, tantôt Ulysse aux enfers : mais bientôt leur goût sè décida pour la simplicité ; & leurs peintres ne traitèrent ordinairement que des sujets d’une ou de deux figures, & très-rarement de plus de trois ou quatre.

Je ne crois pas que ce peuple ingénieux se soit déclaré sans raison, pur cette extrême simplicité.

Homère, dans ses poëmes, avoit multiplié les personnages, & les actions & même les détails de ces actions : mais tous ces personages & toutes ces actions n’occupent pas à la fois l’esorit du Lecteur : il ne peut les voir que les uns après les autres à mesure qu’il lit les vers du poète, & l’on peut dire que chacun des vers qui présentent une action ou un personnage est un tableau sur lequel on peut s’arrêter : mais l’œil embrasse une peinture toute entiere, il veut être fixé par elle, & ne l’est pas, si elle lui offre vingt, trente cent figures, qu’il ne peut connoître d’un seul regard, & que cependant il veut connoître toutes. On a beau les groupper, on a beau par la lumière appeler l’attention sur le sujet principal ; le spectateur veut connoître tout ce qu’on lui montre, & pourquoi le lui montreroit-on, si l’on ne vouloit pas qu’il le connût ? Si l’ouvrage est bon, il ne les parcourra pas sans plaisir ; mais ce


plaisir sera mêlé une fatigue à peu-près semblable à celle qu’on éprouve quand on parcourt une galerie meublée d’un grand nombr de tableaux : on veut les voir tous, on voudroit cependant s’arrêter à quelques-uns, & en même temps on est appellé par d’autres : quelques efforts que l’on fasse, on n’a pour chaque morceau qu’une attention distraite, & l’on goûteroit une jouissance plus calme & plus pure, si l’on étoit dans un cabinet où l’on n’eût à voir qu’un tableau seul, ou du moins un fort petiti numbre de tableaux.

A ces observations sur l’attention des spectateurs, les Grecs en firent d’autres sur l’attention des artistes. Ils sentirent que le peintre qui, dans un même ouvrage, au roit à traiter un grand nombre de figures, ne pourroit les étudier toutes avec un soin également réfléchi ; qu’on auroit par conséquent un morceau qui étonneroit par son étendue, mais qui, considéré dans ses détails, offriroit quelques négligences dans toutes ses parties. Cet inconvénient devoit frapper vivement un peuple qui avoit tant d’amour pour le beau parfait.

Comme dans les beaux siécles de l’art, leurs peintres ne se livrerent que très rarement à des sujets compliqués d’un grand nombre de figures, ils ne sont pas vraisemblablement parvenus à ce que nous appellons la grande machine : je doute fort que, par leur façon de penser bien différente de la nôtre, elle eût eu pour eux beaucoup d’agrément ; ils n’auroient pas, je crois, goûté les grands sacrifices qu’elle exige, qui peuvent offrir du plaisir aux yeux & qui n’en offrent pas à la pensée. En voyant des grouppes enveloppés dans l’ombre, d’autres perdus dans la vapeur, ils auroient regretté les beautés que ces objets semblent promettre & ne montrent pas, & ces regrets auroient combattu leurs plaisirs.

Si tels étoient leurs principes, ils ne devoient pas multiplier beaucoup les plans de leurs tableaux, & leurs compositions en peinture devoient ressembler à celles de leur sculpture en bas-relief. C’est ce qu’on observe en effet dans plusieurs des peintures antiques qui nous restent ; c’est ce qu’on présume de celles qui n’existent plus ; c’est ce don’t conviennent également & ceux qui veulent dégrader les peintres de l’antiquité, & ceux qui exaltent le plus la gloire de ces artistes.

Les anciens avoient peut-être observé que la peinture peut faire illusion quand il ne s’agit que de représenter des objets qui ont un ou deux pieds de saillie ; mais que l’illusion devient impossible si l’on veut exprimer des reliefs beaucoup plus saillans ou, des enfoncemens considérables, parce que les rayons réfléchis par une surface plane, & venant tous d’une égale distance, conservent entr’eux un égal


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