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P E I Si toutes les physionomies avoient de la roideur dans les tableaux de Panœnus, s’il n’avoit su faire ouvrir la bouche à aucune de ses figures dans son combat de Marathon, ce n’étoit pas un Artiste supérieur à nos peintres gothiques. Et pendant que la peinture étoit dans cet état d’enfance, Phidias avoit porté la sculpture à sa perfection. Cela ne semble pas dans la nature : à la renaissance des arts, on vit la peinture & la statuaire marcher à peu-près du même pas. Il seroit trop long d’entrer ici dans le détail de deux grands tableaux de Polygnote décrits par Pausanias. Ils étoient à Delphes, l’un représentoit la prise de Troie & le départ des Grecs ; l’autre, la descente d’Ulysse aux enfers. M. Falconet en a fait la critique d’après le récit du voyageur grec : sa censure est sévere ; mais comme elle ne peut porter que sur la composition, on ne sauroit la trouver injuste. Peut-être y avoit-il dans ces tableaux des beautés de dessin, d’expression, de détail, qui l’auroient désarmé s’il avoit pu les voir. On sait que Polygnote écrivoit sur ses ouvrages le nom des figures qui y étoient représentées. & cette pratique sauvage prouve qu’il ne connoissoit pas l’effet.

Aristote plus voisin du temps de Polygnote & habitant de la ville où étoient la plupart de ses ouvrages ; Aristote plus sensible que Pline & l’ausanias, & par consequent plus connoisseur, accorde à ce peintre d’avoir excellé dans l’expression : c’est en ce sens que nous croyons devoir entendre le mot grec éthê qui signifie les mœurs ; car par quel autre moyen peut-on peindre les mœurs que par l’expression ?

Quintilien lui reproche la foiblesse de couleur : mais ce vice étoit plutôt celui du temps que celui de l’artiste. On voit même qu’il ne négligeoit pas la couleur quand elle étoit rélative aux aux affections de l’ame. Il avoit peint Cassandre à l’instant où elle venoit d’être violée par Ajax : on voyoit la rougeur sur le front de cette princesse à travers le voile dont elle cachoit sa tête. Cette figure étoit encore admirée du temps de Lucien.

Les Grecs faisoient sur Polygnote un conte odieux ; mais qui prouve du moins l’idée qu’ils avoient de sa passion violente pour l’étude de l’expression. Jls prétendoient qu’il avoit fait appliquer un esclave à la torture pour peindre d’après ce malheureux les tourmens de Prométhée. On a de même accusé plusieurs peintres modernes d’avoir poignardé un homme pour peindre un Christ expirant.

Il peignit dans le pœcile, à Athénes, le combat de Marathon : sur le devant du tableau, les peuples de l’Attique & les


barbares combattoient avec une égale valeur. mais én portant la vue au centre de la bataille, on voyoit les barbares prendre la fuite, & se précipiter les uns sur les autres dans un marais. Au fond étoient les vaisseaux des Phéniciens ; les barbares vouloient s’y précipiter, & étoient massacrés par les Grecs. Le héros Marathon, qui avoit donné son nom à la campagne où s’est livrée la bataille, y paroissoit, aussi bien que Thésée qui sembloit sortir de terre pour protéger le peuple qui avoit reçu ses loix. Le peintre avoit aussi introduit dans sa composition Pallas, décesse tutélaire des Athéniens, & Hercule, l’un des dieux à qui les Marathoniens accordoient leurs premiers hommages. Entre les combattans, se remarquoient Callimaque, premier Polémarque des Athéniens ; Miltiade se distinguoit entre les chefs, & l’on n’avoit pas oublié le héros Echetlus. Voici ce que c’étoit que ce héros : on racontoit que, pendant la bataille, on avoit vu un homme d’une apparence rustique qui tuoit un grand nombre de barbares avec le soc d’une charrue ; il disparut après l’action. Les Athéniens consultèrent l’oracle pour connoître leur bienfaîteur, & reçurent pour réponse d’honorer le héros Echetlaïus ou Echetlus, car on trouve ce nom écrit des deux manières dans Pausanias.

On ne peut juger l’ordonnance de ce tableau ; il faudroit l’avoir vu : mais l’invention n’en peut être condamnée, & le peu que Pausanias a fait connoître de la disposition, n’en donne point une opinion désavorable. Ce tableau résista, sous un portique découvert, pendant près de 900 ans, aux injures de l’air & des saisons, sans éprouver une dégradation sensible. Au temps de Synésius, c’est-à-dire, au commencement du cinquiéme siècle, il mérita de tenter la cupidité d’un proconsul qui l’enleva aux Athéniens. Il a péri, on ne sait de quelle manière, à Constantinople, le grand tombeau des ouvrages de l’art. C’est M. de Pauw qui a découvert ce fait dans la lettre 135e. de Synesius. Polygnote aimoit les compositions d’un grand nombre de figures, que nous appellons grandes machines. Il paroît que c’étoit le goût de son siécle ; goût qui changea depuis. Quoiqu’il se plût à traiter des sujets graves & héroïques, il se plioit quelquefois à des sujets agréables. Il représenta, dans le temple des Dioscures, les nôces des filles de Leucippe.

Il peignoit à l’encaustique, comme les maîtres Rhodiens dont parle Anacréon, & peut-être Aglaophon, son père, dont il avoit apprison art, l’avoit-il étudié lui-même sous les peintres de Rhodes. M. de Pauw, dans ses Observations sur la Grèce, ne croit pas que tous les efforts des modernes aient pu faire revivre l’encaustique des anciens, cet encaustique qui bravoit les intempéries de l’air, & les injures des siècles. Il accuse le Comte de


Beaux-Arts. Tome I. M m m m.