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en se couvrant du voile du mystère, que la réserve doit être aux arts, ce que la pudeur est à l’amour. (Article de M. Watelet.)

Pratique des artistes Grecs dans la représentation des Passions.

La beauté étoit le premier objet de l’art antique ; l’expression lui étoit subordonnée. Cependant les artistes ne sembloient pas sacrifier la seconde partie à la première ; mais ils évitoient de supposer leurs figures dans des situations où les mouvemens de l’ame eussent été trop nuisibles à la beauté des traits. Ceux des artistes modernes qui sont nés avec une ame douce & calme, ont le plus approché des anciens dans cette partie de l’art. Si les circonstances dans lesquelles a vécu Raphael ne lui ont pas permis d’égaler en tout l’auteur de l’Apollon du Bélvedere, on peut dire cependant que l’ame de l’artiste d’Urbin, avoit de grandes conformités avec celle du statuaire Grec.

Les anciens dans la manière dont ils exprimoient les passions, avoient une autre vue que celle de ménager la beauté. Ils auroient craint de choquer la décence, en ne donnant pas à leurs figures une action calme & tranquille. Ils prêtoient bien à certaines figures cet air de légereté par lequel elles sembloient moins marcher sur la terre, qui planer dans les cieux ; mais ils ne leur auroient pas donné cette marche précipitée qui suppose un effort, qui détruit la noblesse extérieure, & qu’ils regardoient comme immodeste & rustique. L’exemple de la figure d’Atalante n’est pas contraire à ce principe : elle court avec la légereté du vol, & sans que la rapidité de son mouvement paroisse la pouvoir fatiguer ; sa beauté n’est point altérée, parce qu’elle ne fait pas d’efforts. Enfin les anciens ne donnoient de mouvemens forcés qu’à des esclaves.

Winckelmann, qui nous fournit cet article, remarque qu’ils observoient cet extérieur jusques dans leurs figures dansantes. On trouvera dans les antiquités d’Herculanum des exemples qui confirment l’opinion de l’ingénieux antiquaire. Il pense même que les mouvemens de l’art eurent de l’influence sur le maintien des danseuses, qu’elles chercherent à imiter les graces décentes dont ils leur offroient le modèle, & qu’elles s’imposerent une bienséance. qu’ils avoient consacrée. Les figures des Bacchantes étoient seules exceptées de cette loi. On peut remarquer que les danseuses étoient drapées de robes amples & longues, mais légeres. Une statue de danseuse, placée au dessus de l’entrée du palais Caraffa-Colobrano, à Naples, a la tête couronnée de fleurs & de la plus sublime beauté. D’autres de ces statues ne semblent point avoir des têtes idéales ; ce sont


peut-être des portraits de danseuses célèbres ; car on sait qu’on leur élevoit des statues. Une épigramme de l’anthologie nous apprend qu’une danseuse eut une statue d’or à Bysance.

Le calme est religieusement observé dans la représentation des Dieux & même des Dieux subalternes. Jupiter n’a pas besoin de colére pour ébranler l’Olympe ; il suffit de l’agitation de ses cheveux & d’un mouvement de ses sourcils.

Winckelmann croit avoit découvert que, par ces mêmes idées de bienséance, les anciens ne représentoient aucune divinité d’un âge fait & grave avec les jambes croisées. On sait que cette position auroit été regardée comme indécente même dans la personne d’un Orateur. Il est vrai que, dans quelques statues, Apollon & Bacchus sont dans cette attitude ; mais c’est pour exprimer la vive jeunesse dans le premier, la douce mollesse dans le second. Elle convient à Apollon Pasteur, & c’est ainsi qu’il est représenté dans une statue de marbre de la Villa-Borghese, & dans une de bronze de la Villa-Albani. La même position est donnée à Mercure dans une seule statue, qui est dans la galerie du Grand-Duc de Florence. Il semble qu’elle ait été particulièrement affectée à Paris ; peut-être pour désigner sa profession pastorale, peut-être aussi pour marquer son caractère de mollesse. On ne la voit jamais aux Déesses dont l’antiquité est bien prouvée, mais on la retrouve quelquefois dans les Nymphes.

Les anciens se permettoient de donner cette position aux personnes affligées qui négligent leur maintien : ils la donnoient aussi aux dieux champêtres, tels que les Faunes, pour indiquer leur caractère simple & rustique.

Les anciens représentoient, dans les personnages héroïques, les passions réprimées par le courage & la sagesse. Quand on ne connoîtroit de toute l’antiquité que les apophtegmes de Plutarque, on devroit savoir que c’est un contre-sens de représenter les anciens se livrant à la fougue & aux désordres des impressions de l’ame, même dans les crises les plus violentes de la nature. Xénophon continuant son sacrifice lorsqu’il vient d’apprendre la mort de son fils, doit-il être représenté dans l’abandon de la douleur. Quand un homme grave, mais souffrant, ne pouvoit résister au choc des affections violentes il se couvroit le visage. Il auroit cru manquer à la décence & à lui-même en montrant son front dégradé par la douleur. C’est peut-être cette décence que Timanthe voulut observer, en couvrant d’un voile la tête d’Agamemnon.

Ces régles de bienséance vraisemblablement introduites par la philosophie, ne paroissent pas avoir été connues du temps d’Homère.