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O R I qui forment des classes plus instruites ou plus façonnées, ne sont que ce que la nature fait les hommes de tous les pays : on peut porter plus loin cette réflexion, & remarquer qu’il y a une quantité d’especes de peuplades dans les lieux incultes & moins accessibles, moins susceptibles, par conséquent de fréquentations & de communication d’idées, où l’on apperçoit la marche presqu’imperceptible des grandes institutions.

Il ne faudroit donc peut-être qu’avoir la patience de s’y introduire, d’y-être adopté, d’y séjourner, d’y observer enfin, pour étudier profondément l’homme en lui même, sur-tout en joignant à ces études, celle de l’enfance, qui, malgré tout ce qu’on lui suggère, est toujours, pendant un plus ou moins longtemps, presque l’ouvrage de la seule nature.

Je reviens aux lignes simples & droites que la pantomine fait tracer d’abord à la main, & qu’un penchant, dont nous avons déjà parlé plus d’une fois, nous excite à rendre visibles, palpables & moins fugitives. Si je m’arrête à cette époque, c’est qu’elle me semble être celle d’une des inventions les plus nécessaires à l’homme, & qui étonne davantage lorsqu’elle est perfectionnée ; je veux dire l’écriture. La marche toute extraordinaire des commencemens de cet art dans l’Egypte a fixé mon attention, & le résultat de mes réflexions est de penser que c’est de l’art du dessin au berceau & n’ayant point perdu le caractère de la pantomine, que doivent naturellement naître la plus grande partie des premiers signes employés par les hommes pour consigner, d’une manière visible & durable, des désignations qu’ils veulent préserver de l’oubli. Ces réflexions, que je me suis permises, m’ont conduit plus loin encore, relativement aux anciens Egyptiens ; je me suis représenté, d’après des notions historiques, ce peuple déjà gouverné despotiquement par des Rois, qui étoient eux-mêmes prêtres & vraisemblablement chefs de la religion : j’ai pensé, comme la suite de leur histoire le fait appercevoir, que l’institution religieuse étoit alors la seule qui eût une influence décisive ; point d’institution patriotique, le pouvoir absolu lui est absolument contraire ; point de culte héroïque, les héros effrayent les despotes. Il m’a semblé voir encore que le culte, qui sans doute avoir été établi sans systême général, avoit le caractère absolument mystérieux ; & il me semble que ces premiers & informes essais de l’art du dessin, ces traits qui représentoient à si peu de frais des figures humaines par deux simples lignes surmontées d’un rond pour le corps & la tête, par deux autres lignes pour les bras, & encore deux lignes pour les jambes ; il m’a paru, dis-je, que ces productions imparfaites


auxquelles il faut joindre des esquisses grossières d’animaux, d’astres & de plantes, convenoient parfaitement aux Prêtres, pour y ajouter à leur gré des sens allégoriques & mystérieux : ils ne donnoient à connoître ces secrets qu’à ceux qu’ils en croyoient dignes & au dégré où ils vouloient les initier. Ils s’étoient assuré, d’après ces moyens, un sublime respect que nous voyons, helas ! souvent encore accordé dans les sociétés éclairées, & de nos jours, par des hommes nés spirituels & intelligens, à des illusions moins imposantes. Les Egyptiens, à qui l’exercice des arts étoit défendu, dont le pays étoit en quelque façon fermé, vivoient privés des grands moyens qui portent les hommes à s’éclairer ; ils n’étoient employés que comme des artisans pour exécuter les volontés de leurs despotes, & construire, par exemple, ces masses énormes de bâtimens que nous allons admirer.

La sculpture en relief & en cieux, commandée par le despotisme, étoit condamnée à représenter des monstres, des animaux, sous les conditions serviles imposées, pour que ces représentations s’accordassent avec les profonds mystères qu’on déroboit à presque toute la nation. La peinture, comme les autres arts, arrêtée par tant d’obstacles accumulés, étoit donc forcée d’attendre que les entraves de l’esclavage religieux & despotique, enfin modérées, leur laissassent au moins quelque liberté sur le choix des modèles : ce tems arriva. Les communications avec la Grèce furent ouvertes ; ce beau pays étoit aussi gouverné par des Rois ; il y eut sans doute en faveur de ce peuple des transmissions de connoissance & d’inventions de la part des Phéniciens, avec lesquels les Grecs commerçoient ; des auteurs assurent que c’est ainsi que sont venues aux Egyptiens les premières lettres apportées par Cadmus. C’est ici qu’il n’est pas hors de propos de croire que l’idée des signes des pensées, qui sans doute, chez les Grecs, avoit été ébauchée comme en Egypte, & comme elle le sera dans tous les tems, n’ayant pas été gênée par ce despotisme sombre, sous lequel elle avoit été asservie en Egypte, ni par la privation imposée des connoissances qu’on peut acquérir, n’a pas eu pour but d’imiter des figures monstrueuses, sur lesquelles on pût bâtir des allégories & des sens cachés. Les désignations des Egyptiens tendoient à représenter grossiérement les objets pour les indiquer à l’esprit, & à faire servir les représentations de choses corporelles à peindre même les idées intellectuelles : mais les Grecs plus actifs, plus subtils, plus portés aux efforts du génie, eurent pour but, à l’aide des secours qu’ils empruntèrent, de former des assemblages & des combinaisons de signes qui exprimassent non pas des idées, mais les sons