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O R I

du verd dont les feuilles sont teintes ; mais alors c’est la teinture qu’il essaie & qu’il découvre, & ce n’est pas la peinture : la nature opére bien de même ; mais sa teinture se change naturellement en peinture par les effets variés que lui fait éprouver la lumiere en raison de ses accidens, & en raison des formes & des plans des objets ; au lieu que la teinture qu’aura employée celui qui cherche à imiter les objets avec la couleur qu’il a bien assortie, en se guidant, pour les formes visibles, par les traits & les lignes que lui prête l’art du dessin, cette, teinture, dis-je, ne reçoit qu’un effet uniforme de la lumiere, & n’indique ni relief, ni plans différens. Invoquerons-nous ici la réflexion des objets dans une eau limpide, qui est sans doute le plus parfait modèle de la perfection de la peinture, considérée jusques dans le libéral ? Helas ! c’est un modèle indéchiffrable pour ceux qui essaient leurs premiers pas dans la carriere d’un des arts les plus difficiles qu’il y ait à exercer avec de véritables succès. En effet, toutes les illusions que l’art est obligé de créer se trouvent rassemblées dans une eau tranquille, pure, cristalline, ainsi que sur le miroir sans défaut ; & les détails de perfection y sont poussés si loin, qu’on doit désespérer, avec juste raison, d’y atteindre, qu’il faut même que les artistes craignent de s’y attacher trop.

Voyons présentement les exemples, les incitations qu’offre aussi la nature à l’homme qui veut faire les premiers pas dans l’art d’imiter les formes par des formes.

Eh ! dans quel climat, on diroit presque dans quel lieu ne se présente-il pas à lui une terre propre, au moins accidentellement, à favoriser le penchant dont le premier principe, comme je l’ai dit, est dans l’essence de l’homme ? Cette terre amolie par la pluie, pénétrée de rosée, se prête sous les doigts qui la pressent à recevoir les formes que l’homme veut lui donner. En retenant la trace de ses pas, elle le fait appercevoir de sa docilité ; enfin les moyens les plus faciles se présentent à lui dans les lieux qu’il choisit le plus souvent pour son repos.

S’arrête-t-il aux bords des ruisseaux, on des fontaines ; ces lieux ombragés & frais lui offrent le plus ordinairement une argile pâteuse, douce & flexible qui, cédant sans effort à l’impression de sa main, dont elle retient jusqu’aux moindres linéamens, éveille en lui le desir d’imiter, & même dans l’art de modeler porté à sa plus grande perfection, elle conserve encore le droit d’être consacrée à l’imitation des formes. La cire s’offrira presqu’aussi naturellement à l’homme imitateur, pour satisfaire son penchant, que le miel qu’elle renferme s’est offert pour contenter ses besoins.


Si, d’une autre part, l’homme veut enfin tracer, ou légérement, ou plus profondément sur une surface, le contour de l’objet que l’ombre vient présenter à ses yeux, secours commun à la peinture & qu’on lui donne pour première origine ; une branche éclatée qui forme une pointe, une arrête de poisson, une pierre tranchante, une plume d’oiseau, même, ne se presentent-elles pas sous sa main à l’envi ? le sable mouillé, la terre amolie, l’écorce tendre des jeunes arbres, le bois applani, une pierre crayeuse, lisse & docile ; tout ce qui l’entoure enfin se transforme en moyens si faciles, si abondans, si simples, qu’on peut les joindre aux moyeus plus immédiatement attachés à l’homme, tels que si l’on peut parler ainsi, la fidélité & la mémoire exacte du sens de la vue, lorsqu’il est exercé, & l’agilité ainsi que l’adresse des mains ; dons que la nature nous distribue, il est vrai, inégalement ; mais de maniere que tous les individus participent à des bienfaits si importants. Voila un tableau fidele qui, dans son résultat, offre moins de facilités aux premiers essais de la peinture qu’à ceux de la sculpture. La peinture ne peut donc accorder sa marche avec celle de sa sœur.

L’art du dessin, si informe dans ses premiers temps, ce qui doit être & sera dans tout pays où l’art du dessin essayera de germer, ou dans lequel il prendra naturellement racine, désignoit seulement les premiers traits des figures par des lignes simples & pour la plupart droites.

On doit bien aisément penser d’après l’origine naturelle de l’art du dessin, qu’il n’est pas possible que ses premiers essais soient plus compliqués : ils doivent être à-peu-près les mêmes, dans quelque lieu qu’il soient tentés, & quel que soit l’individu qui les fasse ; car si l’on examine ce que sont le plus naturellement les traits que la pantomime, dans sa plus grande simplicité, suggère à la main qui entreprend de désigner un homme, par exemple, on voit que c’est toujours une ligne droite perpendiculaire, surmontée d’un rond qui indique la tête, que deux autres lignes indiquent les bras & deux autres les jambes. Les preuves de ces informes essais se présentent tous les jours à nous dans les amusement des enfants & des hommes qui sont à-peu-près dans la classe de l’homme de la nature, quoique faisant partie des sociétés les plus instruites. Sur quoi j’engage mes lecteurs à observer que nous pouvons souvent supléer aux peines infinies qu’on prend de parcourir des pays inconnus, ou nouvellement découverts, pour étudier l’homme dans sa nature ; en effet je ne pense point qu’il y ait de royaume en Europe, où l’on ne puisse rencontrer un prodigieux nombre d’hommes, qui, sans participer aux idées de ceux de leurs pareils,