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comparant sans cesse ses facultés les unes aux autres, toujours blessé dans ces comparaisons par une discordance & des disproportions qui le contrarient, le fatiguent & l’humilient, il s’efforce d’établir un accord, une égalité qui lui paroissent le terme de sa perfectibilité. Mais dans cette entreprise, si l’intelligence & l’industrie lui prêtent des secours qui flattent son espérance, elles ne lui en donnent jamais assez pour épuiser ses desirs & suspendre ses efforts.

En effet, non seulement les imperfections des sens dont je viens de parler lui sont éprouver des contrariétés : mais combien ses intentions méditées en renouvellent & en varient sans cesse le nombre ? L’homme veut mouvoir un corps, sa force est arrêtée par la pesanteur de la matiere ; il veut au moins l’ébranler, elle résiste si l’industrie ne le secoure : sa volonté prompte & exigeante ne trouve à employer qu’une puissance tardive & foible ; il apperçoit avec rapidité l’objet qu’il ne peut atteindre que lentement. Quelle disproportion entre la vélocité dont s’élance son regard & la langueur dont se traine son action ! entre l’étendue qu’il embrasse par la pensée & l’espace borné qu’il occupe ! Il se meut, son intention l’a devancé ; il se dirige vers un but avec toute la vîtesse dont il est capable ; ses desirs qui l’ont atteint se précipitent déja vers un autre ; les objets dont la possession le flatte, se détruisent ; il y a attaché son affection, ils s’évanouissent. Le desir se reproduit aussi-tôt qu’il est satisfait ; le plaisir disparoît à l’instant qu’on le goûte. Sans cesse des effets qui pressent l’homme d’augmenter certaines facultés pour les rendre égales à d’autres, de rendre durable ce qu’il voit lui échapper & se perdre, de prolonger des souvenirs, d’adoucir des regrets, de rappeller des jouissances ; par-tout enfin des motifs qui excitent, qui nourrissent le desir de connoître & le penchant à imiter. C’est par l’effet de ces inégalités indestructibles, de ces contrariétés toujours renaissantes, que les hommes tourmentés d’une peine utile, ouvrent par-tout & sans cesse la carriere des sciences & des arts.

Si l’on pense que ces détails de la marche naturelle de l’intelligence humaine m’ont trop entrainé, il faut se rappeler que l’origine historique de la peinture, ne m’offroit aucun moyen de suivre & de faire connoître l’apparence même de ses premiers pas : essayons de la rencontrer, en découvrant, chemin faisant, encore quelque raison de la différence que je trouve entre la marche de la peinture & de la sculpture : on doit en soupçonner quelqu’une ; car ces deux arts étant fils d’un même pere (l’art du dessin), on a dû s’attendre à les voir marcher également. Mais


examinons si la peinture ne contiendroit pas quelques -uns de ces obstacles qui agissent pour ainsi dire sourdement, sans qu’on s’en apperçoive, & qui suspendent & rallentissent nécessairement ses premiers pas & ses premiers progrès. Pour cela, rapprochons l’une de l’autre les définitions de la peinture & de la sculpture.

La sculpture est l’art de rendre ou d’imiter des formes d’objets visibles & palpables par des formes de matieres quelconques, également visibles & palpables.

La peinture est l’art d’imiter des objets visibles avec le secours de la couleur, ou, pour être plus exact, avec le secours de plusieurs couleurs. On est aisément frappé, pour peu qu’on réfléchisse sur ces deux énoncés, d’une différence essentielle ; car imiter des formes visibles & palpables par des formes qui tombent pareillement sous les sens de la vue & du toucher, c’est une maniere simple d’imiter, dans laquelle on peut comparer l’imitation & le modele, dans laquelle, à l’aide du toucher, on peut apprécier leur plus ou moins de conformité, dans laquelle enfin des mesures peuvent être employées pour vérifier la conformité des dimensions ; mais imiter les objets visibles, palpables, au moyen des couleurs qui, étendues sur des surfaces, n’offrent à la main aucune forme palpable, c’est évidemment un art moins simple ; l’un imite les formes par des formes, le relief par le relief ; l’autre imite des formes par des apparences de formes, & le relief par des illusions & des artifices ingénieux qui manquent de réalité. Ce n’est pas tout ; car aussi-tôt que l’imitation essaie d’employer les couleurs, elle rencontre une source inépuisable de difficultés que lui oppose la variation ou progressive ou accidentelle de la lumiere, qui se répand & se varie sans cesse sur tout les objets visibles, ou y répand & y varie l’ombre qui n’est que la privation de la lumière. Je n’entrerai pas, & ce n’est pas le moment, dans les détails que présente cette source trop féconde d’obstacles qui embarrassent les artistes-peintres les plus habiles jusques dans leurs plus grands progrès, & je reviens à examiner à leur tour les exemples que la nature a semblé vouloir offrir aux hommes pour nourrir leur émulation, & servir même de modele à leurs imitations.

Le peintre, c’est-à-dire, celui qui employe des couleurs, guidé par l’art du dessin, trouve, il est vrai, les objets naturels colorés ; son adresse & son industrie peuvent parvenir à composer avec des teintures naturelles, formées du mélange de terres solubles dans l’eau, ou bien de dissolutions de parties métalliques que la nature offre abondamment, le moyen d’assimiler la nuance de ces couleurs, par exemple, à celle

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