Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/701

Cette page n’a pas encore été corrigée
568 NUI NUI

NUI mais cette même lumière, vue la nuit, sans être comparée avec aucune autre, répand une lumière légèrement douce, & le centre du principe lumineux est lui-même, à nos yeux trompés par le défaut de comparaison, d’une teinte fort approchante du blanc. Aussi c’est de cette manière que l’ont rendu les peintres raisonnables qui nous ont donné des scènes de nuit éclairées par des lumières que l’on nomme artificielles. Ils ont eu raison, sans doute, puisque l’art consiste à rendre la nature telle qu’elle paroît à nos organes, & non telle qu’elle est réellement.

Si l’on voit des tableaux de ce genre, dont la teinte générale soit rouge ; on peut être assuré qu’elle a été imitée sur le naturel, par un peintre qu’a trompé la comparaison de la couleur propre du jour, au milieu duquel il faisoit son tableau,

C’est pendant la nuit qu’il faut concevoir les tableaux de nuit, en bien saisir l’effet, & le posséder au point de le rendre sans avoir son modèle devant les yeux.

L’effet des flambeaux, des bougies & d’autres feux exige tous les brillans de notre palette. Hélas ! pourront-ils encore suffire à rendre l’éclat de la nature ? Cependant nos efforts l’atteindront plutôt que les lumières d’un beau jour, auprès duquel un peintre, accoutumé à la comparaison, ne trouve dans ses couleurs que des teintes sourdes, & insuffisantes même pour bien apprécier la moindre degré d’éclat que produisent les lumières qui nous éclairent la nuit ; le peintre observateur étudie l’effet des objets dans les ombres, & juge par la foiblesse des reflets qu’ils reçoivent que le principe lumineux n’a lui-même que peu de force.

Cette observation nous amène à une différence de principes dans la science du clair-obscur : elle distingue ceux qui appartiennent à un tableau de nuit, & ceux qui doivent être observés dans une scène éclairée d’un beau jour : dans ce dernier instant, les ombres du devant sont les plus reflettées, les formes & même les couleurs s’y distinguent le mieux : au lieu que dans l’autre, tout est nuit même sur les premiers plans, dans les parties qui ne reçoivent pas les rayons directs de la lumière ; de-là, la difficulté de multiplier les plans, & de rendre une grande profondeur.

Nous avons, cité dans l’article mystère, quelques ouvrages où les effets de la lumière des flambeaux sont rendus avec intérêts : mais ici ce sont des, vastes scènes de nuit, ou les grands maîtres ont développé leur science & leurs goût qu’il faut apporter en exemple, fans parler de Vander-Néer, & de plusieurs autres Flamans ou Hollandois qui ont possédé la science de ces effets : c’est le magnifique & immense tableau, où l’on voit la garde Hollandoise faisant la patrouille pendant la nuit dans Amsterdam, ouvrage renommé, & capital de Rembrandt ; c’est le tableau de Rubens où Marie Medicis profite des ténèbres pour suivre à la lumière des flambeaux le Duc d’Epernon, son libérateur, lorsqu’elle se sauve de sa prison à Blois : c’est cette tempête unie aux horreurs de la nuit, où Paris Bordone a sçu mettre un si grand intérêt dans le tableau qu’il a fait à Vénisé, pour l’Ecole saint Marc ; ce sont enfin les productions des Bassan, des Claude Lorra in, des Valentin & de tous les grands maîtres, dans lesquelles on peut voir les étonnans effets dont les lumières de la nuit sont susceptibles, quand le savoir, & l’art du coloris se réunissent à l’intérêt du sujet, & aux élans d’une imagination vraiement poëtique.

Nous n’avons pas à craindre, sans doute, que nos lecteurs confondent les peintres qui ont tiré parti de leurs connoissances dans les effets des diverses lumières qui éclairent les nuits pour en faire des ouvrages dignes des suffrages de la postérité, avec ces petits esprits qui n’ont fait servir le piquant des lumières au milieu des ténèbres, que pour donner quelque intérêt à leurs tableaux, privés d’ailleurs de nerf, de graces & de génie. Ces effets n’ont été pour les peintres de cette dernière classe qu’une ressource pour cacher sous les ombres la foiblesse de leur talent dans toutes les parties de l’art : aussi le véritable appréciateur du mérite ne leur accordera qu’une très-foible estime : & cela nous rappelle un mot spirituel de notre fameux Jouvenet. On lui demanda, au sortir d’une Assemblee de l’Académie de Peinture, ce qui s’y étoit passe ; (on avoit reçu un peintre sur un tableau foible, représentant une femme en buste, tenant une lumière pendant la nuit.) « Nous venons, dit-il, de recevoir un Aca démicien pour un bout de chandelle. (Article de M. ROBIN.) »

Q