Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/660

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MOS MOS 527

MORBIDESSE. (subst. fem.) Ce mot vient de l’italien morbidezza, & nos artistes l’ont adopté. Les Italiens appellent morbido ce qui est délicat, souple, doux au toucher. On appelle morbidesse dans les arts, ce qui semble, dans l’imitation de la nature, avoir cette délicatesse, cette mollesse aimable qu’offre la nature elle-même. La morbidesse se trouve surtout dans le sentiment des chairs, lorsqu’elles ont à l’œil, dans un tableau, toute la souplesse, toute la douceur qu’elles auroient au toucher dans un beau modèle vivant. Le Correge a donné le premier des exemples d’unemorbidesse que ses successeurs ont difficilement imitées. Elle contribue beaucoup à l’agrément, à la grace, à la vérité des figures de femmes & d’enfans. Le défaut contraire au mérite de la morbidesse c’est celui de ces peintres lechés qui donnent à tous les objets une surface lisse & luisante. Ils ne pensent pas que cet éclat ne peut être produit que par des corps durs & polis sur Jesquels les rayons rejaillissent. Le Puget & d’autres habiles sculpteurs ont prouvé que, sous une main savante, les matières les plus dures, telles que le marbre, ne se refusent pas à lamorbidesse. (L.)

MOSAIQUE. (subst. fem.) Sorte de peinture qui opère avec des pierres colorées, naturelles ou artificielles. Le tableau a toute l’épaisseur qu’on juge à propos de donner à la longueur des pierres que l’on employe, & dans toute cette épaisseur, il est parfaitement le même, au lieu que les tableaux faits par les autres manières de peindre, n’ont qu’une surface, & sont détruits dès que cette surface est altérée. Toute la partie supérieure d’une mosaïque peut être éraillée, gâtée, méconnoissable pour faire revenir le tableau effacé, il suffit de lui rendre le poli ; & cette opération, que des accidens rares peuvent seuls rendre nécessaire, peut se recommencer tant que l’ouvrage conserve encore quelque reste d’épaisseur. On pouroit donc appeller cette peinture éternelle s’il y avoit quelque chose d’éternel sur la terre. On en donnera les procédés dans le dictionnaire de pratique.

On sent l’avantage qu’auroient les hommes pour exercer leur perfectibilité dans toute son étendue, si les arts qu’ils inventent & qu’ils approchent de la perfection, pouvoient être exercés par des moyens durables. La perfection est le fruit du temps : elle se compose de l’intelligence, des découvertes, des succès des générations qui se succèdent. Si cette succession est interrompue, si une génération perd le souvenir des découvertes & de l’industrie des générations qui l’ont précédée, cette industrie, ces découvertes font comme si elles n’avoient jamais existé, & pour revivre, il faut qu’elles


soient inventées de nouveau ; il faut repasser par tous les mêmes dégrés de première maladresse, de premiers tâtonnemens, de perfectionnemens lents & successifs, avant de les rétablir au même état où elles avoient été dans des temps qui n’ont laissé aucune trace. Si les beaux ouvrages de la peinture, de la musique grecque s’étoient conservés, comme une partie de ceux de la sculpture & de l’architecture, les nations modernes, en sortant de la barbarie, auroient trouvé de beaux modèles à suivre ; elles seroient parties du point où les auroient placées ces modèles, & dans les siècles éclairés qui se sont suivis, elles n’auroient eu qu’a ajouter à ces arts, qu’elles furent obligées de créer, des perfections nouvelles.

C’est le service qu’auroit rendu la mosaïque à l’art de la peinture, si elle avoit été portée par les anciens au dégré de perfection à laquelle elle a été élevée dans la Rome moderne, & si on l’avoit appliquée au même objet. Nous aurions pu trouver dans le sein de la terre, & sous de vieux décombres, d’exactes imitations des tableaux d’Apelle, de Zeuxis, d’Euphranor : un poli nouveau leur auroit rendu leur première jeunesse, & les productions pittoresques du règne d’Aléxandre se reproduiroient à nos yeux précisément dans le même état, où les contemporains de ce prince la virent sortir des atteliers des artistes.

Des tableaux, ouvrages des peintres les plus célèbres, ont été imités à Rome avec des pâtes d’émail coloré, taillées en petits morceaux joints les uns aux autres par un mastic d’une extrême dureté. Ces peintures dont les teintes ne changent point, que l’humidité ne peut pénétrer, que l’air ni le soleil ne peuvent altérer, qui échappent à toutes les causes ordinaires de destruction, qui ne seroient même décomposées qu’avec effort, par des barbares armés d’un fer destructeur, conserveront, pendant un nombre de siècles qu’on ne peut évaluer, un témoignage sensible de l’état de l’art au tems où furent faits les originaux de ces précieuses imitations.

Les anciens ont inventé la mosaïque ; mais ils ont négligé de la porter à la perfection, &, ce qui est encore plus déplorable, de l’appliquer à des usages assez importans. Il ne paroit pas qu’on l’ait jamais employée à copier les ouvrages des grands peintres, dont les noms & la réputation sont seuls parvenus jusqu’à nous. La plus grande utilité que nous ayons retirée de ce qui nous reste de la mosaïque antique, a été d’en connoître les procédés, & de pouvoir la consacrer à un meilleur emploi.

Mais qui, en apprenant que nous nous sommes mis sur la voie des avantages d’une si belle invention, ne croira pas qu’on doit trouver cette branche de la peinture soigneùsement cultivée partout où les arts fleurissent ? & cependant,