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?2o M O D la conformation artificielle. Une longue habitude a donné aux effets de l’art, l’apparence de la nature, &, pour reconnoître celle-ci, l’artiste est obligé de recourir aux statues antiques, faites dans un temps où les modes n’avoient pas encore altéré le naturel.

« Qu’il soit permis, si l’on veut, dit M. Reynolds, aux arts méchaniques & de luxe de sacrifier à la mode ; mais elle ne doit jamais influer sur l’art. Il faut que le peintre se garde bien de prendre les avortons qu’elle produit pour les vrais nourrissons de la nature ; il est nécessaire aussi qu’il renonce à tout préjugé en faveur de son siècle & de son pays, & qu’il méprise les costumes momentanés & locaux pour ne s’arrêter qu’à ces usages généraux qui sont les mêmes dans tous les lieux & dans tous les temps. Il consacre ses ouvrages à tous les peuples & à tous les siècles ; il en appelle à la postérité pour les juger, & dit avec Zeuxis : Je peins pour l’éternité. « « Le peu de soin qu’on apporte à distinguer les usages modernes des habitudes naturelles du corps, conduit à ce style ridicule, adopté par quelques peintres, qui ont donné aux héros de la Grèce les airs & les graces maniérées de la Cour de Louis XIV : absurdité aussi grande, pour ainsi dire, que s’ils les avoient habillés à la mode de cette Cour. »

(Article extrait en grande partie de M. REYNOLDS.)

MODÈLE, (subst. masc.) terme de peinture. C’est le nom que l’on donne à un homme ou une femme que l’on pose nud pour servir d’objet d’étude. Le dessin que l’on fait d’après ce modèle se nomme académie.

Ce qui a été dit dans plusieurs articles de ce dictionnaire sur la méthode de choisir en divers sujets les différentes beautés qui leur sont propres, pour en composer une beauté parfaite, de corriger la nature vivante d’après les idées du beau, que l’antique nous à transmises, ne doit pas être observé par l’élève qui étudie d’après le modéle. Il faut bien distinguer les opérations de l’artiste qui crée, de celles de l’artiste qui étudie.

L’objet de l’étude, d’après le modèle, est de rendre l’œil juste, d’habituer la main à bien saisir & bien rendre ce que l’œil a bien vu, de faire connoître les différentes formes, les divers mouvemens de la nature vivante. La plus grande précision peut seule donner à cette étude toute son utilité. Autant dans les tableaux, & sur-tout dans ceux dont les sujets sont héroïques, il faut rechercher le beau idéal, ce beau qui ne se trouve jamais réuni dans un seul individu, autant dans les études, il faut s’astreindre à la simple imitation de l’objet qu’on étudie. Mais l’étude faite, il est très-


utile d’en conférer les parties à celles des plus belles figures antiques qui y répondent.

Des maîtres ont proposé de rendre quelquefois cette comparaison plus facile encore, en posant le modèle dans la même attitude que quelques-unes des statues de l’antiquité ; ainsi les élèves pourroient comparer toutes les parties du modèle vivant, avec ces mêmes parties conformes au plus beau choix fait par les grands artistes de la Grèce.

On s’est plaint justement de ce que, dans de grandes écoles, on n’avoit qu’un seul modèle, ou deux tout ou plus. C’est ne donner aux étudians que l’idée d’une seule nature, c’est leur en cacher les innombrables variétés, c’est les accoutumer à la manière, même en les faisant travailler d’après nature. Car représenter toujours une même nature, c’est aussi bien être maniéré, quoiqu’on l’imite d’après un modèle vivant, que si on la créoit d’après la pratique qu’on se seroit faite. On n’est porté que trop naturellement à se faire une certaine idée de formes qu’on ramène fréquemment avec une sorte de prédilection, sans fortifier encore ce penchant par le vice des études.

Le mal s’accroît, parce que les élèves & même les maîtres, quand ils font en particulier des études pour des tableaux prennent ordinairement le modèle de l’académie, soit par l’estime que l’habitude leur donne de ses formes, soit parce qu’il est plus habile à tenir une pose qu’un modèle moins exercé. Le tableau eût-il douze, vingt figures, elles sont souvent toutes étudiées d’après ce modele, comme si l’artiste craignoit de répandre trop de variété dans ses ouvrages. Cependant il cherche cette variété, & pour y parvenir, il travaille d’idée d’après nature, chargeant les formes dumodèle s’il fait un Hercule, & les adoucissant s’il fait un Apollon.

Un modèle, nommé Deschamps, a posé pendant plus de quarante ans à l’académie de Paris. Pendant cette longue période de temps, presque toutes les figures des tableaux de l’école françoise ont été étudiées d’après Deschamps : tantôt Deschamps étoit Mercure toujours jeune, tantôt il étoit le terrible Mars, tantôt Neptune, Pluton, Jupiter. Ceux qui avoient quelqu’habitude de l’école reconnoissoient l’eternel Deschamps dans les différens ouvrages des peintres & des statuaires, & admiroient les nombreuses métamorphoses qu’on lui faisoit subir. Il n’y avoit pas jusqu’à sa tête qui ne se fit quelquefois reconnoître, & l’on étoit étonné de voir sa face un peu bachique, devenue celle d’un héros ou d’un dieu. Il est vrai que ce modèle étoit beau ; mais Zeuxis rassembloit les beautés de toute une ville, pour en former une seule beauté, & les artistes françois, au contraire, prenoient