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s’élèver assez au-dessus des autres, pour mériter d’être étudié seul.

Raphaël étudia d’abord le Pérugin son maître, & se borna tellement à l’étudier, qu’il étoit difficile de distinguer les ouvrages de l’un d’avec ceux de l’autre : mais portant ensuite plus loin ses regards, il imita les grands contours de Michel-Ange, la couleur de Léonard de Vinci & de Fra Bartolomeo, il étudia celles des antiques qu’il put voir par lui- même, & envoya des dessinateurs en Grèce pour lui apporter au moins des dessins de celles qu’il ne pouvoit étudier. C’est en réunissant tant de modèles, qu’il devint lui-même un grand modèle pour ses successeurs : il ne prit pas une manière empruntée, &, toujours imitateur, il resta toujours original. (article de M. Levesque.)).

MANIERE-NOIRE . Sorte de gravure sur cuivre. VOYEZ l’articleGRAVURE : Nous en décrirons lès DANS Procédés le Dictionnaire de pratique.

MANIÈRÉ, (adj.). On dit dans la langue & l’usage général qu’un homme est manièré : on dit que le style d’un auteur est manièré, qu’un morceau de musique, une statue, une façade de bâtiment sont manièrés. Toutes ces expressions tendent à désigner que les objets dont on parle, ont de l’affectation, de la recherche dans le caractère & dans les formes. On peut donc dire que le manièré est une mauvaise imitation de la simplicité, du naturel, de la noblesse ou des graces.

Le malheur des arts & des mœurs est que plus les sociétés humaines semblent connoître le prix de certaines perfections, plus elles les vantent sur-tout, & plus elles substituent souvent à leur place l’affectation qui forme le manièré. Il sembleroit que la véritable perfection consisteroit, dans les arts & dans la morale, à être parfait, sans, pour ainsi dire, le savoir, comme la perfection de la beauté & de la grace dans les femmes, est de posséder ces avantages sans s’en douter. La jeunesse est l’âge qui adopte plus facilement le manièré ; mais les graces qui lui sont naturelles, le rendent pour l’ordinaire moins choquant. D’ailleurs on lui pardonne volontiers des erreurs. Les artistes qui se livrent à la société, sont souvent entraînés, comme les jeunes gens dont je viens de parler, au manièré, & l’exercice des arts d’imagination prolonge, pour ainsi dire, dans plusieurs de ceux qui les cultivent, la jeunesse de l’esprit. Aussi est-il assez ordinaire de voir des artistes long-temps jeunes, soit par quelques-unes des erreurs propres à cet âge, soit aussi par les agrémens dont il est doué.

Il est un manièré dans l’art de peinture, qui provient du méchanisme de l’art. On pourroit l’appeller manièré d’habitude & le premier dont j’ai parlé, manièré de caractère. C’est ce que l’on entend aussi par le mot manièré, lorsqu’en langage de peinture, on ne donne pas de sens défavorable à ce mot.

L’imperfection attachée à notre nature, est cause que, pour acquérir la facilité nécessaire à l’exercice des talens, nous sommes obligés de répéter une infinité de fois les mêmes opérations, les mêmes mouvemens, les mêmes procédés, & de plier, par une longue habitude, nos organes à l’emploi que nous voulons leur donner. Cet exercice renouvellé produit effectivement la facilité d’opérer, mais les organes contractent des habitudes ; je dirois volontiers des tics. Ils s’accoutument à une sorte de routine, défavorable à la perfection, car la perfection de l’imitation doit approcher de celle de la nature qui est, inépuisable en variétés.

Cette habitude, dont je viens de parler, ne se borne pas à asservir les organes ; car l’esprit même, qui est à la fois actif & paresseux, s’habitue aussi, quant aux opérations qui le concernent, à repasser, par les routes qu’il s’est frayées ; de manière que l’artiste se laisse insensiblement dominor par une double routine, celle des organes & celle des idées. Son dessin alors, ses contours, sa touche, sa couleur, son choix d’harmonie ; d’une autre part, sa composition, ses airs de tête, ses expressions, ses dispositions de figures, de grouppes, de draperies, de plis, tout enfin se ressent de cet ascendant de l’habitude.

Arrêtons-nous encore un moment à ces détails pour les rendre plus intelligibles à ceux qui ne les connoissent pas. Nous passerons ensuite à ce qu’on peut adresser à ce sujet à ceux qui, exerçant les arts, entendent, comme on dit, à demi-mot.

Le peintre, obligé de plier sa main à l’usage prompt & facile de la brosse ou du pinceau, pour appliquer & pour mêler les couleurs, ou pour ajouter la touche qui donne l’ame, la vie, le mouvement aux objets qu’il représente, acquiert une manière de parvenir à ces opérations qu’il recommence sans cesse, & cette manière dans laquelle il se renferme sans s’en appercevoir, à laquelle il se borne enfin, devient tellement sensible, tellement reconnoissable, que, sans avoir approfondi l’art, & sans beaucoup de raisonnemens, un marchand, un homme du monde qui voit beaucoup de tableaux, distinguent les ouvrages des différens maîtres. L’habitude contractée par le peintre, devient donc une manière ou une convention qu’il s’est imposée & qui donne, en quelque sorte, le signalement de ses ouvrages. Il devient reconnoissable par des objets répétés, comme l’Écrivain par certaines formes de lettres & un auteur par certains tours &

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