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se détachant les unes sur les autres, il reconnoîtra que la seconde se détache en brun sur la première, & ainsi de toutes les autres. Il en est tout autrement des ombres qui s’affoiblissent toujours à mesure qu’elles s’éloignent, parce qu’il se place, en proportion de l’éloignement, entre l’objet ombré & l’œil du spectateur, une plus grande quantité de vapeurs impregnées de lumiére. Ainsi donc, sans sortir de cette même galerie, supposons que les statues soient de basalte, au lieu d’être de marbre blanc : alors le spectateur verra que la première se détache en noir sur la seconde, & que la plus éloignée de toutes paroît aussi la plus claire.

Une règle assez généralement observée, c’est que la plus grande lumière doit frapper fortement le milieu du tableau. Mais cela ne signifie pas que cette lumière principale doive être la seule. On fait que Rembrandt s’est plû, dans un très-grand nombre de ses ouvrages, à n’employer qu’une seule masse de lumière : Cette pratique donnoit à ses tableaux un piquant que ne procurent pas des effets plus harmonieux, & les grands succès de ce maître ne permettent pas de le condamner ; mais il seroit dangereux qu’il eût un trop grand nombre d’imitateurs : en effet, ce n’est pas ce que la nature offre le plus rarement, qui doit être le principal objet de l’art. On peut sans doute l’imiter quelquefois dans les occasions où elle rend d’autant plus piquant le bienfait de la lumière qu’elle l’épargne davantage ; mais elle en est ordinairement prodigue ; c’est même cette prodigalité habituelle qui constitue son caractère, & c’est dans ce caractère qu’il faut en général l’étudier & la rendre.

Les Peintres Vénitiens, & Rubens qui avoit puisé ses principes dans leurs ouvrages, se sont servis, dit M. Reynolds, de plusieurs lumières subordonnées. Mais comme, dans la composition, il doit y avoir un grouppe dominant, il doit aussi, dans la distribution des lumières, y en avoir une qui domine sur les autres : il faut que toutes soient distinctes & variées dans leurs formes, & qu’on n’en compte pas moins de trois. La lumière principale, ayant plus d’éclat que les autres, doit avoir aussi plus d’étendue.

Les Peintres Hollandois ont particulièrement excellé dans l’entente du clair-obscur, & ont montré, dans cette partie, qu’une parfaite intelligence peut parvenir à dérober entièrement à l’œil toute apparence d’art.

Jean Steen, Teniers, Ostade, du Sart, & plusieurs autres maîtres de cette école, peuvent être cités comme des modèles, & leurs ouvrages proposés aux jeunes artistes, comme des objets d’étude pour cette partie.

Les moyens par lesquels le peintre opère, & d’où dépend l’effet de ses ouvrages, sont les jours & les ombres, les couleurs fières & les


couleurs tendres. Qu’on puisse mettre de l’art dans l’entente & la distribution de ces moyens, est une chose qu’on ne s’avisera pas de contester : on ne niera pas non plus que l’une des voies les plus promptes & les plus sûres de parvenir à cet art, est un examen attentif des ouvrages des maîtres qui y ont excellé.

Je vais rapporter ici, continue ce savant artiste, le résultat des observations que j’ai faites sur les ouvrages des artistes qui semblent avoir le mieux connu l’entente du clair-obscur, & qu’on peut regarder comme ayant donné les exemples qu’il est le plus avantageux de suivre.

Le Titien, Paul Véronese, & le Tintoret, ont été des premiers à réduire en systêmes, ce qu’on pratiquoit auparavant comme par hasard & sans principes certains, & ce que par conséquent on négligeoit souvent aussi faute d’attention, parce qu’on n’avoit point encore fait de loix qui obligeassent à l’observer. C’est des Peintres Vénitiens que Rubens prit sa manière de composer son clair-obscur ; ses élèves l’adoptèrent, & elle fut reçue par les Peintres de genres & de bambochades de l’école flamande.

Voici la méthode dont je me suis servi pendant mon séjour à Venise, pour me rendre utiles les principes qu’avoient suivis les maîtres de cette école. Lorsque je remarquois un effet extraordinaire de clair-obscur dans un tableau, je prenois une feuille de mon cahier d’études ; j’en couvrais de crayon noir toutes les parties dans le même ordre, & la même gradation de clair-obscur qui étoit observée dans le tableau, réservant la blancheur du papier pour représenter la lumière. Je ne faisois d’ailleurs attention ni au sujet, ni au dessin des figures. Quelques essais de cette espèce suffisent pour faire connoître la méthode des Peintres Vénitiens dans la distrîbution des jours & des ombres. Après un petit nombre d’épreuves, je reconnus que le papier étoit toujours couvert de masses à-peu-près semblable. Il me parut enfin que la pratique générale de ces maîtres étoit de ne pas donner plus d’un quart du tableau au jour, en y comprenant la lumière principale & les lumières secondaires, d’accorder un autre quart à l’ombre la plus forte, & de réserver le reste pour les demi-teintes.

Il paroît que Rubens a donné plus d’un quart à la lumière, & Rembrandt beaucoup moins : on pourroit évaluer à un huitième au plus la partie éclairée de ses tableaux. Il résulte de cette méthode que sa lumiere est extrêmement brillante ; mais cet effet piquant est acheté trop cher, puisqu’il coûte tout le reste du tableau qui se trouve sacrifié. Il est certain que la lumière entourée de la plus grande quantité d’ombres doit paroître la plus vive, en supposant que, pour en tirer parti, l’artiste possède la même intelligence que Rembrandt : mais il n’est pas certain de même que l’extrême vivacité


P p p ij