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nombre infini de lignes différentes entr’elles. Désigner par une S ou par une ligne serpentine, ondoyante, flamboyante, le caractère de la beauté, c’est en indiquer obscurément la douceur & la souplesse. Si l’on veut absolument parler de lignes, il faut dire que la ligne droite tend à la roideur gothique ; que les formes composées de lignes qui se coupent angulairement, sont dures ; qu’elles peuvent avoir un air de science, mais qu’elles manquent de graces & de vérité ; que de la ligne circulaire résulte un dessin rond & pesant, & qu’en un mot la vraie beauté des formes est produite par un grand nombre de lignes différentes, qui toutes semblent tendre à s’arrondir, & qui ne s’arrondissent jamais.

Nous n’aurions pas parlé de la ligne de beauté, si l’Encyclopédie ne devoit pas, autant qu’il est possible, contenir tout ce qui a été dit sur l’art. (Article de M. Levesque).

LIVRET, (subst. masc.). Petit livre garni de papier blanc, & qui peut se porter commodément en poche. Il est d’une utilité indispensable à l’artiste qui veut étudier profondément son art. Le peintre qui se contente des études qu’il peut faire d’après se qu’on appelle le modèle, risquera de n’introduire dans ses ouvrages que des figures qui sentiront l’Académie, & qui ne ressembleront point à la nature véritablement agissante. Un homme qui prend l’attitude qu’on lui impose, sans même s’embarrasser de ce qu’elle signifie, ne lui fera certainement rien signifier. Obligé de tenir long-temps cette attitude, il s’ennuie, se fatigue, s’affaisse : & quand même la pose auroit signifié d’abord une action, elle finira bientôt par ne signifier que l’inaction ou la lassitude. D’ailleurs, l’étude du modèle prend un temps fort long ; avec l’assiduité la plus constante, on en feroit tout au plus une centaine dans une année, & les mouvemens de l’homme sont dans un nombre inappréciable. L’étude du modèle doit conduire à la connoissance des formes ; celle des mouvemens naïfs & fortuits doit se faire par un autre moyen ; il faut prendre la nature sur le fait, saisir l’homme au moment où il agit, sans savoir qu’on le regarde, sans savoir même qu’il fait une action ; l’étudier ainsi dans tous les mouvemens dont il est capable, dans toutes les affections qu’il peut éprouver, & crayonner à la hâte l’observation qu’on vient de faire. C’etoit la pratique de l’un des patriarches de l’art, Léonard de Vinci ; c’est elle seule qui peut conduire à une imitation naïve de la nature, & à la véritable expression.

Le livret sera sans celle utile à l’artiste : tantôt il lui confiera le dessin d’une fabrique pittoresque ; tantôt celui d’un effet piquant de lumière ; quelquefois un ustensile, un vase ;


dont il sera bien aise de se ressouvenir un jour pour le placer dans une composition. Un tronc d’arbre, une vue de paysage s’offriront à ses regards dans ses promenades ; il les tracera sur ses tablettes ; il les enrichira de quelques ajustemens pittoresques, de quelques plis ’de vêtemens dont il sera frappé. C’est ainsi que les instans mêmes de ses délassemens deviendront les plus utiles à son art : c’est ainsi que le Poussin est devenu l’un des plus grands paysagistes, & le plus savant des artistes dans la connoissance du costume antique. Il crayonnoit légèrement sur les tablettes tout ce qui l’intéressoit dans la campagne, & tout ce qui le frappoit dans les vestiges de la sculpture antique, dont les vignes de Rome sont ornées.

M. Reynolds a encore employé son livret à un autre usage : il y établissoit par masses & sans faire attention au sujet, les effets de clair-obscur qu’il observoit dans les tableaux des grands coloristes. Voyez l’article Lumiere : Il pense qu’on pourroit, par le même moyen, conserver le souvenir de l’harmonie qu’un tableau doit au choix des couleurs. Il est vrai qu’on ne peut pas avoir toujours avec soi des couleurs, comme on porte un crayon : mais après avoir placé sur le papier les masses d’ombres & de demi-teintes, & y avoir réservé le blanc pour la lumière ; il suffiroit de déterminer la quantité des couleurs fières & celle des couleurs tendres, ce qui pourroit le faire par quelque signe dont on conviendroit avec soi-même. (Art. de M. Levesque).

LO

LOCAL, (adj.). Ce mot n’appartient à la langue de l’art, que lorsqu’il est joint au mot couleur. On appelle ordinairement couleur locale, ce qu’on nomme aussi couleur propre. Ces synonymes n’enrichissent point la langue : il vaudroit mieux appeller couleur propre celle qui appartient à l’objet, & couleur locale celle que prend l’objet, suivant le plan sur lequel il est placé. Ainsi, le rouge sera la couleur propre d’un objet rouge ; mais ce rouge dégradé par l’interposition d’une plus ou moins grande quantité d’air, sera la couleur locale de ce même objet placé, par exemple, sur le troisième ou le quatrième plan.

Cette dégradation qu’on observe dans la nature, est ce qu’on nomme la perspective aërienne. Elle n’a pas des règles fixes comme la perspective linéale, parce que la dégradation est plus ou moins rapide, suivant que l’air est plus ou moins chargé de vapeurs. Elle dépend aussi de l’organe de la vue. Un objet se dégrade de ton, & s’enveloppe de vapeurs plus promptement pour un spectateur qui a la vue courte,