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comptoient en quelque sorte tous les poils. Les contemporains d’Apelles étoient donc grands de dessin & d’expression, mais petits d’exécution. C’est ce que prouve le terme de sept années entières qu’employa Protogenes à faire un tableau d’une seule figure. Il est vrai qu’Apelles lui reprochoit ce fini excessif ; mais les artistes tiennent toujours plus ou moins à leur siècle, & tout ce qu’ils peuvent faire, c’est d’outrer ce qui est en usage. Le fini excessif de Protogenes semble prouver qu’un fini froid étoit d’usage de son temps. Il fut enfin regardé comme l’un des plus grands peintres de son siècle : sa manière n’avoit donc rien dont on fût très-choqué.

On admiroit encore les lignes d’Apelles & de Protogenes du temps de Pline : faut-il en conclure que, du temps de Pline, on faisoit consister dans l’extrême finesse du pinceau le plus grand mérite de la peinture ? Je ne crois pas cette conséquence nécessaire. Il suffit que ces lignes eussent été admirées du temps d’Alexandre, pour qu’elles le fussent encore du public du temps de Vespasien. Pline étoit du nombre des admirateurs ; mais on sait qu’il n’étoit pas grand connoisseur, & il pouvoit bien partager l’admiration publique, sans savoir bien précisément pourquoi il admiroit. C’étoit an amateur, & les amateurs sont fort sujets à se passer, en quelque sorte, l’admiration de main en main. L’O du Gioto n’étoit qu’un tour d’adresse, comme la ligne d’Apelles, & si cet O existoit encore, & qu’il fût exposé dans une vente, je suis sûr qu’il seroit poussé à un très-haut prix. Les connoisseurs savent cependant aujourd’hui ce qu’ils doivent penser de l’O du Gioto.

De Piles, dans ses Vies des peintres, a changé les lignes d’Apelles & de Protogenes en des contours fins & corrects : c’est altérer l’Histoire ; c’est travestir une histoire ancienne par un costume moderne. Pline seul nous a conservé le fait ; il l’a expliqué clairement ; c’est donc lui qu’il faut suivre, & puisqu’il est clair il ne faut pas l’interpréter. En se permettant d’altérer ainsi les anciens événemens, un ne pourroit en tirer qua de faux résultats.

Un ami de Voltaire alla le voir, & ne le trouvant pas, il laissa quelques vers sur son bureau ; voici la réponse que fit Voltaire :

On m’a conté, l’on m’a menti peut-être,
Qu’Apelle un jour vint, entre cinq & six,
Confabuler son cher ami Zeuxis,
Et, ne trouvant personne en son taudis,
Fit, sans billet, sa visite connoître.
Sur un Tableau par Zeuxis commencé,
Un trait hardi fut savamment tracé ;
Zeuxis connut son maître & son modèle.
Ne suis Zeuxis ; mais chez moi j’ai trouvé
Un trait frappé par la main d’un Apelle.

L’histoire est changée, ce qui n’est pas une faute dans un badinage poétique ; mais elle a la vraisemblance qu’exigent nos idées actuelles sur l’art. Il est certain qu’une touche savamment prononcée sur un tableau, pourroit faire juger qu’elle est de la main d’un grand maître. (Art. de M. Levesque.)

LIGNE de beauté. Les anciens ont connu le beau, & nous en ont laissé les plus parfaits modèles. Raphaël & d’autres modernes se sont montrés heureux imitateurs des anciens : mais rien ne nous apprend que les artistes de la Grece aient cherché une certaine ligne, qui servît de démonstration au caractère de la beauté. On ne nous dit pas que Raphaël ait trouvé cette ligne, & l’ait démontrée à les élèves. Enfin, on ne trouve rien de cette ligne dans les écrits de Léonard de Vinci, quoique cet habile peintre soit entré dans de fort grands détails sur son art. On ne s’en est occupé que dans le temps même où l’on commençoit à s’éloigner de l’imitation du beau ; & je ne crois pas que cette imagination frivole fût capable d’y ramener.

Je ne connois pas l’ouvrage de Parent qui semble en avoir parlé le premier, & qui faisoit consister la beauté dans une ligne elliptique, ce qui ne me paroît pas en donner une idée fort claire. Hogarth, fameux peintre anglois, que le genre dont il s’occupoit, & que nous appellons caricature, ne devoit pas familiariser avec la beauté, voulut cependant prouver que la ligne de beauté étoit ondoyante, & il la compara à la lettre S. En consequence de son principe, il crut prouver que l’araignée, n’ayant rien d’ondoyant dans ses formes, ne pouvoit être belle. On auroît pu se servir de son principe même, pour lui répondre que l’araignée est belle, parce qu’elle a dans ses formes quelque chose d’ondoyant. M. Falconet, très-supérieur à cette futile recherche, a fait sentir en passant le ridicule de la ligne inventée par Hogarth, pour exprimer la beauté, & a tracé lui-même une ligne qui lui sembloit préférable, & qui tend à la rondeur & au méplat. On a aussi voulu trouver l’image de la beauté dans la ligne flamboyante, c’est-à-dire, dans celle que décrit la flamme qui s’élève. Mengs, à qui le tour de son esprit faisoit aimer tour ce qui avoit l’air métaphysique, a trop parlé dans ses ouvrages de la ligne serpentine, ce qui a souvent répandu de l’obscurité dans ses préceptes. La ligne serpentine répond à l’S. de Hogarth, & l’on ne voit pas ce qu’elle a de commun avec beauté, dont tous les mouvemens doivent décrire les lignes les plus douces.

Ce qu’on peut établir de plus vrai, c’est qu’il n’y a point de ligne de beauté, & que la beauté se forme de la succession & de l’accord d’un