Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/603

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
470 LAR LAR


sion ([1]). Il signifie, soit dans la composition, soit dans le dessin, soit enfin dans la manière, un certain caractère qui tient au grand, & qui désigne sur-tout le contraire de la maigreur & de la sécheresse.

Ces sortes de sens détournés que les arts donnent à plusieurs mots qu’ils adoptent dans leur langage, semblent des bizarreries, & ces significations, souvent extrêmement figurées, ajoutent des difficultés considérables à l’intelligence des langues pour les étrangers. Elles en offrent même à ceux qui n’ont point de notions des arts, & en préparent d’insurmontables peut-être à ceux qui, lorsque les langues où elles sont employées seront au nombre des langues mortes, voudront en interprêter les ouvrages.

Mais il ne faut pas cependant regarder ces singularités comme des objets de caprice.

Le mot large, doit vraisemblablement le sens qu’il a dans le langage de l’art à un sentiment intérieur, à un secret rapprochement d’idées. Une composition simple, semble mettre le regard & l’esprit à leur aise, comme l’est un voyageur dans une voie spacieuse. L’artiste a étendu ces applications métaphoriques des sensations jusqu’à certains détails de son art. Il a dit des masses larges, pour signifier des objets grouppés ou réunis par la lumière & les effets du clair-obscur, sans que leur disposition produire aucun embarras dans la composition. Enfin, le dessinateur même a voulu désigner dans son trait, dans sa touche, ce qui en donne une facile intelligence, & qui ne peut-être en lui quo le fruit d’une connoissance sûre & profonde des objets qu’il a tracés. Il en est résulté comme principe, qu’il faut que le trait & les contours d’une figure soient larges, & même à certains égards matériellement larges, & que la touche le soit aussi, pour que l’on intention toit indiquée, sans maigreur & sans sécheresse ; défaut dont l’effet est de retrécir les lignes & les expressions du sentiment désignées par la touche.

Le large, relativement aux arts libéraux, tient, comme on le voit, d’assez près au grand, & l’on peut dire que c’est la manière d’Homère, comme c’est le style du Corrège. Le grand, est leur caractère ; le large, est, pour ainsi dire, leur moyen. Ils ont une certaine simplicité dans les plans, qui met à l’aise le lecteur, une distribution qui le comprend aisément, & qui fait que l’esprit ou les regards (pour suivre la figure dont il est question), marchent à leur aise dans les routes qui leur sont tracées.


Au reste, on doit penser que les artistes, dont ces sortes de mots figurés sont le langage, les composent, ou en font une application plus juste que ne peuvent jamais le faire ceux qui n’ont qu’une théorie légère des arts. Les hommes qui pratiquent un des beaux arts, ont pour l’ordinaire bien plus de facilité à comprendre avec justesse les mots du langage figuré d’un autre art, que ceux qui ne s’occupent d’aucun.

Aspirer à les faire comprendre avec exactitude, seroit un projet vain. Heureux, si dans le projet de donner plus d’ordre & de clarté aux idées du plus grand nombre, on parvient dans cet ouvrage à mettre sur la voie, & à désigner au moins ce qu’on ne peut expliquer avec une égale clarté à tout le monde !

Pour vous, artistes qui créeriez ces mots figurés & significatifs, s’ils n’existoient pas, & par conséquent qui les comprenez parfaitement, remerciez le destin qui préside à votre talent, s’il vous a donné pour maître un artiste dont la manière soit large, ou si l’on vous a fait commencer vos premiers traits d’après des originaux qui aient ce caractère.

Isolés dans quelque province, & entraînés par un goût & un penchant naturel vers le dessin & la peinture, vous auriez pu n’avoir pour guides que de mauvais dessins ou des estampes. Il auroit été bien difficile que vous n’eussiez pas contracté, par cette route, une maigreur & une sécheresse que vous auriez conservées, & qui se seroient converties en habitude.

Dessinez donc large, pour parler le langage de l’art, & vous peindrez ensuite de même.

Il ne faut pas cependant que le zèle que vous mettrez à suivre cette manière, vous conduise jusqu’à l’exagération où elle peut tomber. Il ne faut pas, pour affecter une manière large, négliger les détails importans, ou devenir lourds.

Dans chaque partie de votre art & de tous les arts, où l’imagination a part, il y a deux écueils à éviter, & la perfection est toujours voisine de l’imperfection. On ne peut vous exciter à vous élever à l’une des perfections, sans être obligé de vous avertir que plus vous en atteindrez le dernier degré, plus vous vous rapprocherez du défaut qui la circonscrit. Nos vertus mêmes ont ce danger à craindre. Mais quand vous ne seriez pas assez bons navigateurs pour être sûrs de tenir un juste milieu, ou d’approcher le plus près possible des écueils sans les toucher, portez toujours vos efforts plutôt vers les défauts qui touchent aux grandes qualités, que vers ceux qui avoisinent les qualités inférieures.

Il vaudra mieux pour vos ouvrages & pour votre réputation que vous passiez un peu les bornes que doit s’imposer le large dans la manière, que de tomber dans le maigre. Soyez plutôt trop grand que trop petit, trop simple que trop recherché. Ayez plutôt, enfin, une trop grande

  1. (1) M Watelet me paroît se tromper ici. Les masses larges, le pinceau large, le crayon large, les touches larges, ont réellement une largeur de dimension qui les distingue des petites masses, du pinceau mesquin, de la touche sèche, qui n’ont physiquement qu’une dimension étroite. (Note du Rédacteur.)