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un intérêt d’autant pîus touchant qu’il fera lie a des idées de venu , & : la pauvreté de ces époux nie les fera trouver encore plus refpe&ables. Alors je fixerai mes regards fur leurs vénérables têtes ; Se fi l’artifte a bien exprimé dans leurs yeux éteints par l’âge , la tendreffe qui leur confërve encore quelqu’éclat , fi leurs lèvres font animées par le fourire du fentiment, le tableau m’attachera, je ne le quitterai qu’à regret, & j’en conferverai long-temps un profond lbuvenir.

Un tableau reprél’ente un enfant entouré de vieillards qui l’écoutent avec attention. Si l’enfant eft beau , fa beauté caufera de l’intérêt , I N T

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. âge le plus tendre, montre dejL de l’efprit, puii’que des vieillards daignent l’écouter. Mais combien s’accroîtra l’intérêt fi le fpe&ateur eft chrétien , s’il fait que cet enfant eft Jéfus-Chrift , dans le temple de Jérufalem, ait milieu des docteurs , & commençant déjà . fa divine million !

L’artifte qui fe propofe d’intéreiïer, choifira donc’ des fujets capables de parler fans interprêtes à tous les fpeclateurs , Se d’intéreffer par eux-mêmes , ou il les puil’era dans les livres faims que tous les chrétiens doivent connoître, ou dans l’ancienne mythologie qui eft familière à tous les hommes dont l’éducation n’a point été négligée , ou dans les parties de l’hiftoire grecque & romaine qui font généralement connues.

Mais, dans ces fources même, il eft.un grand nombre de fujets qui font connus, qu’on eft obligé de traiter, & qui cependant ne peuvent caufer un intérêt fort vif : le grand artifte faura leur en donner un , le plus piaffant de tous , celui dont les anciens faifoient le but de l’art ; V intérêt de la beauté. Repréfentez Vénus , Junon , Pallas -, repréfentez même une figure tirée de nos livres religieux , telle que la Madeleine ou la Vierge elle-même : on reconnaîtra ces figures ifolées , mais par elles-mêmes elles intérefferont peu ; faites-les belles, & vous créez l’intérêt.

Ceux-là fe trompent qui croient intérefler plus vivement par un fujet compliqué que par une feule figure : ce qui eft vrai feulement, c’eft que plus leur ouvrage eft fimple, & plus iî a belbin d’être foutenu par la beauté. Les monumens de l’antiquité qui infpirent un intérêt plus vif & plus général, font la Vénus de Médicis & l’Apollon du Belvédère. J’ofe même croire que ces figures ifolées intéreffent plus que le grouppe du Laocoon , quoique les figures de ce grouppe aient la beauté dont elles font fufceptibles Se l’intérêt qu’infpirent leurs douleurs.

Le Brun eft l’un des peintres françois qui ait le mieux connu la grande machine : il a produit un nombre conlîdérable de grandes compofidons , & a raffemblé dans toutes de très-belles parties de l’art. Quel eft cependant de tous Ces ouvrages connus, celui qui infpire le plus vif intérêt ? Je ne le demande pas aux artiftes qui chacun fuivant fon inclination & le genre qu’ 1 profeffe, poutroit donner la préférence à certaines parties abftrufes de 1 art ou même du métier ; je ne le demanderai pas aux amateurs qui femblent quelquefois oublier leurs fenl’ations propres pour paroître fentir comme les artiftes ; je le demanderai au public, qui eft le vrai juge de l’art pour la partie dont il s’agit en ce moment : l’ouvrage de le Brun qui l’intèreffe le plus eft la Madeleine pénitente , que l’on voit aux Carmélites de la rue Saint- Jacques. Quand une foule d’artiftes, d’amateurs, de connoiffeurs , penferoient autrement que le public, le public a raifon. Il ne connaît pas cet art trop fouvent factice des grouppes qui le fatiguent plus qu’ils ne lui plaifent ; il ne connoit point toute cette étude vraie, Se toutes ces conventions du coloris qui , par le défaut d’habitude, n’ont pas pour lui les mêmes charmes que pour les curieux ; il ne connoît pas tous ces plans dégradés qui font une des gs andes difficultés de l’art, & dont fouvene il ne fent pas même la vérité quand on veut la luifaireremarquer , parce que fouvent, en effet, cette vérité eft mêlée "de trop d’illufions : mais il voit Madeleine belle Se affligée, il fe livre à la double impreffion qu’excite en lui la beauté Se la douleur ; il plaint Madeleine parce qu’elle fouffre ; il la plaint encore plus parce qu’elle eft malheureufe & qu’elle eft belle , car c eft un mouvement naturel de vouloir épargner toute fenfation affligeante à la beauté : il fe livré d’autant plus fortement au fentiment qu’il éprouve , que ce fentiment n’eft partagé par aucune autre figure , que Madeleine eft feule , & que, par conféquent , elle parle feule à fon cœur. Les Grecs étoient très-fenfibles , & l’on doit, reconnoître qu’ils ne fe font pas trompés fur ce qui appartient au fentiment. C’eft par une très-jufte obfervation de fentiment qu’ils ont généralement compofé d’un très - petit nombre de figures les ouvrages de l’art. Ils favoient que l’intérêt le plus puiffant réfulte de l’unité, & qu’on l’affoiblit d’autant plus qu’on le partage fur un plus grand nombre d’objets. Ils femblent n’avoir prouvé par quelques ouvrages qu’ils étoient capables de fuivre les Ioix que nous avons établies dans la compofition , que pour faire reconnoître que leur fimplicité ne venoit pas de leur impuiffance , mais de leur choix.

Si, dans les ouvrages de l’art, un fujet n’intéreffe qu’autant qu’il eft généralement connu , ou généralement fenti, on voit combien peu M m m ij