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l’obstacle d’une surface toujours visible, il paroît qu’il n’y a pas de moyens d’imiter l’ombre, & même qu’il ne sauroit y en avoir.

L’ombre, dans la nature, n’est point un corps, mais la privation de la lumière qui détruit plus ou moins les couleurs, à mesure qu’elle est plus entière. Elle n’ôte aux objets aucune couleur, & si on leur en apperçoit quelqu’une qui rompe la leur propre, ce n’est que celle qu’ils empruntent, par reflet, des objets voisins & éclairés. Or le peintre n’a, pour imiter cette privation & la véritable obscurité, que des couleurs matérielles, qui sont réellement un corps réfléchissant lui-même la lumière. Elles sont plus ou moins brillantes ; mais quelque mêlangées qu’elles soient avec celles qui peuvent le plus les détruire, elles conservent toujours quelque chose de leur nature particulière, & donnent un mêlange coloré.

Il faudroit, pour porter l’imitation de l’ombre au plus près de la vérité, qu’on pût trouver une couleur capable d’obscurcir plus ou moins les autres, suivant le besoin, & qui n’en eût aucune qu’on pût désigner, c’est-à-dire, qui ne pût réfléchir aucun rayon coloré plus fortement qu’un autre. Peut-être l’emploi de cette espèce de couleur négative pourroit-il amener la peinture à un plus grand degré de vérité. Cependant elle ne satisferoit pas entièrement au besoin d’empêcher d’appercevoir la surface ; car il faudroit encore qu’elle eût la propriété, lorsqu’elle seroit employée dans toute sa force, de ne réfléchir aucun rayon de lumière : ce qui est impossible, attendu que tout corps réfléchit nécessairement la lumière lorsqu’il en est frappé.

On se convaincra bien plus encore de la défectuosité inévitable des moyens de rendre les ombres, si l’on observe les tableaux les plus estimés, eu égard à l’imitation du vrai. On trouvera que chaque partie, prise à part, est de la plus grande vérité dans les endroits éclairés & dans les demi-teintes ; car c’est où la peinture approche le plus du vrai. On trouvera même les divers degrés de lumière sur les objets, à proportion de leur alignement, très-bien rendus ([1]). Cependant, malgré cet assemblage de vérités, dont il devroit résulter une illusion parfaite, on appercevra toujours, en considérant le tout, qu’on ne peut être trompé au point de ne pas voir que ce n’est qu’un tableau : d’où il paroît qu’on doit conclure que le défaut de vérité vient essentiellement des ombres.

L’illusion, prise à la rigueur, ne peut donc avoir lieu ; mais il est un second degré d’illusion


improprement dite, qui est en effet une des principales fins de la peinture, & celle que l’on doit toujours se proposer de remplir ; c’est que le tableau puisse rappeller si bien le vrai par la justesse de ses formes, & par la combinaison de ses tons de couleur & de ses effets à tous égards, que l’image fasse tout le plaisir qu’on peut attendre d’une imitation de la vérité. Ce n’est pas une illusion véritable, puisqu’elle subsiste également dans les plus petits tableaux dont la proportion décèle la fausseté : mais c’est cette vérité d’imitation dont la peinture est susceptible, même dans les tableaux d’objets nombreux, & avec les distances les plus étendues.

Il s’agit maintenant d’examiner si cette vérité d’imitation est, seule & par elle-même, le plus haut degré de perfection de la peinture. On conivent genéralement que la plus grande beauté d’un tableau est qu’il plaise, non seulement au premier coup d’œil, mais encore qu’il soutienne avec succès l’examen le plus réfléchi.

Mais si l’illusion, telle que nous venons de la définir, étoit le seul mérite de l’art, celui qui connoît le moins ses beautés, éprouveroit le même plaisir que celui que les a le plus étudiées. Or, il est certain que plus la connoissance de l’art est perfectionnée, plus le plaisir, qu’on éprouve à la vue du vrai beau, est sensible. Sans doute ce plaisir devient plus rare, parce qu’on cesse d’être affecté de ce médiocre dont ceux qui ne sont point connoisseurs se contentent, & qui souvent les charme : mais on sent plus vivement les beautés peu communes des grands maîtres, on ne cesse point de les admirer, & ils paroissent d’autant plus excellens, qu’on est parvenu à les mieux connoître.

En examinant leurs ouvrages, il sera aisé de sentir que ce n’est point l’illusion qu’ils causent qui leur a obtenu ce degré d’admiration. Ceux du divin Raphaël en sont souvent très-éloignés. Envisagés sous le premier aspect qu’ils présentent à l’œil, il n’en est presqu’aucun, si on ose l’avouer, qui, quelqu’artifice qu’on y voulût employer, trompât l’œil autant qu’un tableau de l’artiste le plus médiocre, mais qui n’auroit songé qu’à imiter le vrai. Il y a même quantité des ouvrages de ce grand homme dont le premier aspect doit déplaire à quiconque n’est pas connoisseur, je dis même savant dans le dessin : car les beautés de Raphaël sont de nature à étonner plus les artistes qu’à séduire le commun des hommes. Il est vrai qu’il n’est aucun voyageur qui, à Rome, ne s’écrie en les voyant : Que cela est beau ! Mais c’est chez la plupart d’entr’eux, un défaut de sincérité que leur inspire la honte de convenir que des choses consacrées par le cri de toutes les nations, ne leur

  1. (1) Voyez le second article Conventions, dans lequel il semble démontré que ni les lumières ni les ombres ne peuvent être rendues en peinture avec une entière vérité.
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