Page:Encyclopédie méthodique - Beaux-Arts, T01.djvu/499

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
358 GRA GRA


quelques étincelles du feu de son auteur ; enfin deux moyens combinés doivent mieux réussir qu’un seul à rendre dans un même ouvrage tout ce qui peut être l’objet de l’art de peindre. Je sais combien est imposant l’exemple des Bolswert, des Pontius, des Worstermann, qui ont traduit en gravure, à l’aide du burin seul, les chefs-d’œuvre de Rubens, & celui d’Augustin Carrache, des Edelinck, des Roullet, qui ont multiplié avec tant de succès ceux des grands maîtres de la France & de l’Italie : mais si plusieurs de ces artistes ont imité avec le burin les travaux de la pointe, pourquoi n’employeroit-on pas la pointe elle-même ? Et sur-tout à présent qu’on se feroit un scrupule d’animer le burin, & de lui donner une chaleur, un ragoût qu’on craindroit qui nuisît à son éclat le plus brillant, à sa plus grande propreté, il est devenu moins convenable que jamais à la gravure de l’histoire.

Je ne dois pas omettre ici ce qu’on lit à ce sujet dans l’ancienne Encyclopédie, à l’article Gravure, parce qu’on pourroit encore le répéter ; car on peut remarquer que la vérité se communique avec peine, & que l’erreur est contagieuse. « L’histoire est l’objet principal de la peinture, dit l’auteur de cet article. On peut exiger, pour qu’elle soit traitée parfaitement par un peintre, que toutes les parties de son art y concourent ; que le beau-fini soit uni à la grandeur du faire, à la perfection de l’effet, & à la justesse de l’expression. Un tableau de cette espèce, s’il y en a, pour être gravé parfaitement, doit être rendu dans l’estampe par toutes les parties de la gravure. Le burin le plus fin, le plus propre, le plus varié, le plus savant sera à peine suffisant pour imiter parfaitement le tableau dont je parle. Le travail de l’eau-forte donneroit trop au hasard, & je crois qu’il nuiroit à l’exécution. »

L’amateur qui a fait cet article avoit de grandes connoissances, mais il ne semble pas les avoir eu présentes à l’esprit au moment où il écrivoit ce paragraphe, & il faut avouer qu’il s’est trompé. Qu’entend-il, quand il dit que, dans un tableau d’histoire, le beau fini doit être uni à la grandeur du faire ? Comment n’a-t-il pas senti que cette grandeur de faire seroit détruite par un fini extrême, (car on ne peut ici entendre autrement ce qu’il exprime par un beau fini,) & qu’un tableau d’histoire perdroit en effet du mérite qui lui est propre, au lieu d’acquérir une beauté nouvelle, si le peintre s’amusoit à caresser son ouvrage au lieu de le couvrir de feu ? Vouloit-il donc qu’un tableau d’histoire, pour être parfait, fût exécuté avec la chaleur & la grandeur du faire de Rubens, & avec le beau fini de Vander-Werf ? C’est exiger deux qualités contradictoires, dont la


dernière a son mérite quand elle est bien placée, mais qui ne convient absolument pas au genre dont nous parlons.

En écartant, comme on le doit, de la peinture d’histoire ce rendu précieux, voyons si elle a d’autres parties qui excluent la gravure à l’eau-forte. Le dessin sera-t-il du plus grand style, & de la plus grande pureté ? Gérard Audran a prouvé que la pointe pouvoit, aussi bien que le burin, suivre les contours les plus purs. L’expression sera-t-elle de la plus grande force, de la plus grande vérité ? L’eau-forte en ébauchera très-bien le caractère, le burin ajoutera les derniers traits. Aura-t-elle l’harmonie du Corrège ? Duchange, en gravant le Corrège, a rendu cette harmonie par le mêlange de l’eau-forte & du burin. Aura-t-elle l’effet piquant des tableaux de Rembrandt ? Lui-même a démontré que cet effet pouvoit se rendre à l’aide de l’eau-forte & de pointe sèche ; il peut donc se rendre, à plus forte raison, en y joignant le burin. Mais si dans le tableau si parfait que suppose notre auteur, il se trouve des fabriques rustiques, des palais ruinés, dont les débris soient couverts d’herbes & de mousse, de vieux arbres dont les troncs soient rongés par le temps, des moutons à laine frisée, des chèvres à long poil, des nuages tourmentés, des eaux écumeuses, des terrasses inégales, l’eau-forte qui, jointe au burin, a déjà purendre les autres objets, sera nécessaire pour ébaucher ceux-ci avec tout l’esprit, tout le sentiment qu’y a imprimés le pinceau.

L’auteur veut que le tableau dont il parle soit rendu par toutes les parties de la gravure. Mais comme l’eau-forte en est une partie considérable, comme cette partie, dans les objets auxquels elle est propre, ne sauroit être complettement suppléée, elle ne doit donc pas être exclue : & c’est l’auteur lui-même qui a préparé cette conséquence.

Il veut que son tableau soit gravé du burin le plus fin, le plus propre, le plus varié. Mais s’il est gravé du burin le plus fin & le plus propre, il ne sera donc pas gravé du burin le plus large, le plus moëlleux, le plus libre, le plus ragoûtant ; il ne le sera donc pas du burin le plus varié.

« Le travail de l’eau-forte, ajoute-t-il, donneroit trop au hasard. »

Il auroit dû supposer qu’un graveur habile dans son art & dans le dessin, n’ignore pas qu’elles sont les parties où il peut abandonner en quelque sorte sa pointe à elle-même, & la laisser se jouer sur le vernis ; celles où il doit la contenir & ne lui permettre de tracer que des travaux purs, fermes & caractéristiques, & celles qu’il doit réserver au burin. On ne voit pas dans les belles estampes de Gérard Audran, dans celles de Duchange, de Cars, des Dupuis. de Desplaces