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G R A La seule & la sûre manière d’expliquer la grace dans l’art, c’est d’indiquer où elle se trouve.

Le Corrége est présenté comme le maître des graces. On ne peut lui refuser cette distinction, il on considere ses ouvrages principalement du côté de l’exécution ; car dans la grace des attitudes, il est par fois un peu recherché.

L’Albane nous semble avoir atteint cette partie de la grace dans le plus haut dégré. Il n’y prétend jamais, & tout la respire dans les mouvemens simples, naïfs de ses figures.

La Vénus de Médicis, la Vénus accroupie, l’Apollino, l’Hermaphrodite, sont comme l’indique fort bien Mengs ([1]), de vrais modèles de grace que nous avons dans l’antique.

François Duquesnoy, dit le Flamand, le Puget dans quelqu’unes de ses statues, sont les sculpteurs modernes qui ayent le mieux senti les graces. Parmi nos peintres françois, Sébastien Bourdon les a connues.

Plaire est un des grands buts de l’art. Rien n’est plus propre à le remplir que d’y mettre de la grace. Carle Maratte en sentoit le prix : il en avoit beaucoup recherché les moyens. Il voulut peindre les trois graces, & il leur fait dire ces mots dans son tableau : niente senza di noi, rien sans nous. Mais lui-même connut-il la grace ? non sans doute, car il y travailla.

Bien peu d’artistes ont excellé dans l’art de donner la vraie grace à leurs figures, & de la réunir à ce mérite d’exécution qui contribue à la caractériser. Raphaël lui-même a mieux connu la beauté que la grace ; &, comme l’observe Mengs, son pinceau sec s’opposoit à ce qu’il pût l’exprimer ; j’ajouterai que la sévérité de ses formes y mettoit encore un obstacle. Parmesan a fait grimacer ses figures à force de vouloir faire de la grace ; Andrea Sacchi, malgré la beauté de son dessin, la grace de son pinceau, & quoiqu’il fût élève de l’Albane, rend la beauté trop froide pour avoir de la grace ; parmi nous, les Coypels ont affecté de donner des graces à leurs figures, & par-là elles sont minaudières ; Watteau, notre aimable Watteau n’a pas rendu la grace, il est gracieux. Car ce qu’on entend par gracieux en françois, signifie le genre agréable, doux, galant ; mais n’exprime pas l’équivalant de la grace. Ainsi on dit dans ce sens que Mignard, C. Maratte, Pierre de Cortone, sont des peintres gracieux, parce que leurs tableaux représentent souvent des femmes, des enfans & des sujets agréables, & que joseph Ribera, le Caravage, Jouvenet, n’ont jamais fait le gracieux, par la raison contraire.

Pour exprimer que la grace se trouve quelquefois dans diverses parties de l’art, on dit


ce tableau est peint avec grace, ce peintre met beaucoup de graces dans ses formes, telle composition est pleine de grace, telle statue est exécutée avec grace ; enfin toute les parties de l’art sont susceptibles de grace ; mais la grace, proprement dite, ne réside que dans le choix des attitudes & du caractère des formes. (Article de M. ROBIN.)

GRACIEUX (adj.) Cet adjectif a une signification plus vague que le substantif dont il dérive.

En effet, lorsqu’on dit qu’un objet a de la grace, cette manière de s’exprimer donne une idée plus précise, & inspire un sentiment plus déterminé, que si l’on disoit que cet objet est gracieux. Ce dernier terme même est souvent susceptible d’une nuance d’ironie que le mot grace ne reçoit pas.

La grace inspire un intérêt qu’on se sent comme forcé de respecter, quand on n’auroit pas l’ame disposée aux sentimens plus doux & plus tendres qu’elle inspire, & ce seroit un signe funeste pour le sentiment & les arts si elle perdoit cet avantage.

On a désigné dans la peinture une sorte de grace par le mot gracieux. On comprend dans ce genre tous les ouvrages de l’art qui sont plus susceptibles d’agrémens que de force. On a eu l’indulgence d’y admettre jusqu’à l’afféterie, & au manièré de nos mœurs. On dit d’une pastorale, où rien n’est simple & vrai, c’est un ouvrage dans le genre gracieux : on dit par opposition, d’une composition où tout est exagéré, qu’elle est du genre terrible. Ces distinctions tiennent à nos recherches modernes, & je les crois bien plus nuisibles qu’avantageuses aux arts. Elles conduisent à des idées fausses qui ne sont pas dans la nature, où tout ce qui a rapport à l’art, semble lié par des nuances qu’on ne peut classer, comme les couleurs qui sont tellement fondues, qu’on ne peut en faire des divisions précises. Les jeunes artistes, & le public qui est toujours jeune lorsqu’il manque de véritables instructions, prennent comme à l’envi, des idées de classes & de genres qui les trompent. Les talens médiocres s’y attachent, parce qu’ils croyent s’y faire un appanage. Les Juges ignorans en font la base de leurs décisions, & tout cela nuit aux progrès des arts, à ceux de la peinture & des véritables artistes. La juste convenance & la vérité comprennent tout ce qui mérite justement d’être distingué. Il n’y a enfin bien réellement que deux genres principaux dans les Beaux-Arts, le bon & le mauvais.

Pour vous, jeunes artistes, si vous cherchez expressément dans vos ouvrages à être gracieux, il est bien à craindre que vous ne tombiez dans l’affectation, ou plutôt dans l’afféterie. Ayez

Xx jj

  1. Œuvres complettes de Mngs, in-4o. 2 vol. P. 46.