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G R A qu’il desire & qu’il chérit ; que cette jeune fille à son tour, soit une tendre & naïve amante, qui n’a pas plutôt apperçu celui qu’elle aime, qu’elle précipite sa course ; supposez que le lieu dans lequel ces deux amans se réunissent, soit ce que la nature peut offrir de plus agréable ; que la saison favorable ait décoré de verdure & de fleurs le lieu du rendez-vous. Représentez-vous à la fois les charmes de la jeunesse, la perfection de la beauté, l’éclat d’une santé parfaite, l’agitation vive & naturelle de deux ames qui éprouvent les mouvemens les plus simples, les plus relatifs, les moins contraints ; & voyez se succéder alors une variété infinie de nuances dans les graces, qui, toutes inspirées, toutes involontaires, sont parconséquent empreintes sur les traits & exprimées dans les moindres actions & dans les moindres gestes.

Ainsi parmi les impressions de l’ame qui se peignent dans nos mouvemens, & dont j’ai parlé, en réfléchissant sur les passions, celle qui paroît la plus favorisée de la nature, l’amour produit une expression plus agréable, plus universelle, plus sensible que toute autre, & dans laquelle la relation de l’ame & du corps qui fait naître les graces, est plus intime & plus exactement d’accord.

Aussi les anciens joignoient, & ne séparoient jamais Vénus, l’Amour & les Graces : & la ceinture mvstérieuse décrite par Homère n’est peut-être que l’emblême de ce sentiment d’amour si fertile en graces, dont Vénus toujours occupée empruntoit le charme que la beauté seule n’auroit pu lui donner (Article de M. Watelet.)

La GRACE est une des branches du goût par laquelle l’art parvient à plaire à l’ame de la manière la plus douce & la plus agréable.

Le talent de donner de la grace ne s’acquiert ni par le savoir, ni par la plus grande pratique, ni par les meilleures leçons. Ce n’est pas non plus par le savoir ni par l’étude qu’on est enchanté d’un ouvrage plein de grace.

La grace est tout sentiment dans l’habile artiste qui l’exprime : elle inspire, disons mieux, elle commande le plaisir à tous ceux qui jettent les yeux sur son ouvrage.

La grace ne connoît ni les principes, ni les conventions. Chaque nation peut bien avoir son genre de beauté ; mais la grace est une pour tout pays.

Elle ne peut se décrire, ni se mesurer, ni se déterminer ; en tout cela, plus fine, plus fugitive, plus universelle que la beauté. Aussi leur essence, comme leurs effets, sont-ils différens : ces deux qualités exquises ne se ressemblent que par leurs attraits, toujours cependant plus victorieux dans la grace.

Celle-ci plaît & ravit sans la précision de


formes adoptée par les artistes pour exprimer la beauté. La beauté, toute admirable qu’elle est, n’attire & ne charme que par la grace qui l’accompagne quelquefois, & qui seule la rend accomplie.

La grace plus belle encore que la beauté, dit la Fontaine en faisant la peinture de la Déesse des Amours. Et convenons-en ; ce poëte a été peut-être dans l’art de peindre à l’esprit, le seul des nôtres qui fût en possession de définir la grace ; parce qu’elle naissoit sous sa plume comme sous les pinceaux de l’Albane.

On vient de dire que les graces ne s’acquièrent pas, c’est aussi l’avis de Montesquieu : « Pour en avoir, ajoute-t’il, il faut être naïf ; mais comment travailler à être naïf ? »

La naïveté qui donne la grace dans la nature, peut seule la produire dans l’art qui l’imite. Dès le moindre mouvement pour courir après elle, on s’en éloigne.

Si tel est le vrai caractère de la grace, que l’écrivain célèbre que nous venons de citer la fait entrer dans un chapitre (1) qu’il intitule : Le je ne sai quoi, on sent qu’on ne peut raisonnablement s’appésantir sur son essence, encore moins prétendre donner des méthodes pour l’obtenir.

Dire, comme M. Watelet (2) d’après Félibien (3) : « Que la grace consiste dans l’accord des mouvemens produits par la beauté, avec les mouvemens de l’ame ; » c’est-à-dire que la beauté est nécessaire à la grace, c’est une assertion qui n’est pas toujours vraie. En second lieu, l’accord des mouvemens du corps avec ceux de l’ame convient autant à l’expression exacte de toutes les passions, qu’aux graces.

Félibien prétend encore que la grace est un mouvement de l’ame dont on ne juge que par l’action du corps. Ce principe n’est exact ni général. La Diane endormie de Piètre de Cortone, la seule figure de ce peintre où l’on voye de la grace sans maniére ; la Sainte-Cécile expirante du Dominiquin, & quelques autres encore prouvent que l’art, comme la nature, met de la grace même dans l’inaction (4) .